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Chopin eut du moins cette consolation, en se séparant de la mère, de se dire qu’il était utile à la fille. Et il le fut, moins encore par le recours de sa bourse toujours ouverte au ménage pris de court, que par la douceur de son amitié, sa bonté conciliante, son dévouement au mari comme à la femme. Jadis, il s’était heurté a Solange enfant, volontiers maussade avec lui et même parfois grossière. Plus tard, il gâta la jeune fille, sans doute, comme dit George Sand, parce qu’elle était la seule à Nohant qui n’eût pas gâté Chopin. Jeune mariée, et malheureuse, Solange vint se blottir dans l’amitié de Chopin comme dans le seul refuge qui lui fût toujours ouvert. Et Clésinger, qui avait d’abord inspiré de l’aversion à Chopin (si jamais deux êtres se ressemblèrent peu, ce furent ceux-là), lui devint bientôt sympathique, grâce à l’admiration que Solange inspira au sculpteur pour le musicien[1]. Et puis, n’étaient-ils pas tous les trois exilés du Paradis ?

C’est dans cette situation que la douloureuse année 1847 s’achève. L’année suivante verra de notables changemens. Désormais, nous n’avons qu’à laisser la parole à nos personnages. Leurs lettres parleront mieux que nous.


VIII

Aucune lettre de la mère ni de la fille durant l’année 1847. En 1848, deux seulement de la mère, et deux de la fille. Rien en 1849, rien en 1850. Les lettres de Chopin à Solange comblent une partie de cette lacune.


Chopin à Solange.

1847

Je suis très peiné de vous savoir souffrante. Je m’empresse de mettre ma voiture à votre disposition. J’en ai écrit à Madame votre mère. Soignez-vous. Votre vieil ami. Ch[2]mercredi.

  1. Solange assistait Chopin à son lit de mort. Clésinger moula son visage, et sculpta son tombeau au Père-Lachaise. George Sand ignora l’agonie de son ami. Elle déplore (Hist. de ma vie, IV, 459) qu’on ait cru devoir la lui cacher. Son dévouement fut prêt à l’acte, toujours. Mais on ne voulut pas l’employer. Voyez, dans l’ouvrage de M. Carlowicz, son dernier et triste billet à Louise Jedrzeïewicz, la sœur de Chopin, que celui-ci avait mandée en hâte pour le soigner. Ce billet resta sans réponse. Mais Chopin ne prononça aucune parole de haine contre George Sand sur son lit de mort. Ici encore, la légende est controuvée. (Voyez Carlowicz, vers la fin.)
  2. Chopin ne signait guère que des deux premières lettres de son nom, suivies d’une sorte de zigzag.