Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 26.djvu/197

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Adieu, monsieur, je vous serre bien affectueusement les deux mains, et vous envoie une bénédiction que mon âge permet de donner à votre jeune talent et à votre heureux avenir…

GEORGE SAND.

Embrassez pour moi votre bon et illustre père[1].


Il est maintenant facile de conclure.

L’incident du mariage acheva, par une amputation brusque, la déchirure douloureuse dont tout le monde souffrait à Nohant. Et tout se réunit pour accabler George Sand. Tout se réunit de même pour aigrir le sensible artiste, et envenimer sa blessure. On le voit à l’animosité croissante de ses lettres, de 1847 à 1849. La tristesse tourne en rancune, la rancune en mépris, et même en outrage. Au point où il en est après la révolution de Février, qui acheva de l’exaspérer, il accueille sur George Sand et sur les personnes de son entourage immédiat, les bruits les plus désobligeans, et les plus diffamatoires, ceux dont la police eut à faire justice[2]. Il en vient à se persuader qu’il « a aidé George Sand à supporter les huit années les plus délicates de sa vie ! » Ne prononce-t-il pas que « avec son fils aussi, cela finira mal, je le prédis et je l’affirme ; » et que « Maurice, à la première bonne occasion, s’enfuira chez son père ! » Autrement dit, il déraisonne. Certaines lignes, sous sa plume, paraîtraient à bon droit odieuses, si l’on ne songeait à son état. Et puis, « il y avait de mauvais cœurs entre eux, » suivant le mot de George Sand. Certes, si Chopin fut à plaindre, ce fut dans ces deux tristes années où son âme irritée s’exhalait avec son souffle haletant.

Si l’on veut voir encore le vrai Chopin, l’aimable et attachant Chopin, même durant cette funeste période, c’est à ses lettres à Solange qu’il faut se reporter[3].

  1. D’après l’original, à nous communiqué par A. Damas en 1894.
  2. Nous faisons allusion aux commérages sur la filleule de George Sand, et au libelle infâme, composé de lettres apocryphes, dont George Sand a voulu faire justice elle-même dans une note de l’Histoire de ma vie (t. IV, p. 459). Chopin osa écrire que tout cela, c’était la vérité. — Là, encore, calomnie à part, il n’était pas au fait. Il n’a pas su la rupture soudaine d’un projet de mariage très avancé entre la filleule de George Sand et un artiste célèbre. C’est ce projet avorté, — d’ailleurs suivi d’assez près d’un mariage moins brillant, mais très honorable, — qui fut le point de départ de médisances gratuites.
  3. Ces lettres au nombre de dix-neuf (la plupart sont des billets, mais deux ou trois sont assez importantes), nous appartiennent. Ce sont les réponses aux lettres de Solange publiées dans l’ouvrage de M. Carlowicz.