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il se fera haïr de Solange. Tout cela est difficile et délicat, et je ne sais aucun moyen de calmer et de rassurer une âme malade, qui s’irrite des efforts qu’on fait pour la guérir. Le mal qui ronge ce pauvre être, au moral et au physique, me tue depuis longtemps ; et je le vois s’en aller sans avoir jamais pu lui faire de bien, puisque c’est l’affection jalouse et ombrageuse qu’il me porte qui est la cause principale de sa tristesse.

… Vois quelle situation est la mienne dans cette amitié funeste, où je me suis faite son esclave, dans toutes les circonstances où je le pouvais sans lui montrer une préférence impossible et coupable sur mes enfans !… Je suis arrivée au martyre !… Mais le ciel est inexorable envers moi, comme si j’avais de grands crimes à expier ; car, au milieu de tous ces efforts et de ces sacrifices, celui que j’aime d’un amour absolument chaste et maternel se meurt victime de l’attachement insensé qu’il me conserve ! Dieu veuille, dans sa bonté, que du moins mes enfans soient heureux, c’est-à-dire bons, généreux, et en paix avec la conscience ; car, pour le bonheur, je n’y crois pas en ce monde, et la loi d’en haut est si rigide à cet égard que c’est presque une révolte impie que de songer à ne pas souffrir de toutes les choses extérieures. La seule force où nous puissions nous réfugier, c’est dans la volonté d’accomplir notre devoir[1]

GEORGE.


Cette lettre sans voile, dont nous donnons, sinon tout, du moins tout ce qui touche directement à notre sujet, est la peinture décisive de la situation lors de la rupture. Mais, dans la vivacité de sa douleur, George Sand se calomnie en disant « qu’elle n’a jamais pu faire de bien » à cette âme malade. Elle lui en avait fait au contraire, et beaucoup. Témoin la correspondance échangée par elle avec la famille, et dont il ne reste par malheur que peu de chose. Serait témoin aussi, et témoin irrécusable, sa correspondance avec Chopin lui-même, si elle existait encore, cette fameuse correspondance qu’Alexandre Dumas fils, au cours d’une poursuite plus amoureuse que littéraire, découvrit inopinément sur la frontière russo-polonaise, et fit tenir aussitôt à George Sand, qui la relut et la livra ensuite aux flammes. Dumas, qui l’avait lue, et qui en avait même transcrit des fragmens « admirables » (c’est son mot), qu’il détruisit après par délicatesse, a pu nous dire que toutes les tendresses, toutes les affections douces et calmantes y respiraient. La passion avait cédé la place à l’épanchement, à la confidence. Ce n’était pas seulement l’amie qui parlait, c’était la mère. Et ceci nous ramène Solange. Voici en quels termes George Sand

  1. D’après une copie communiquée par Mme Maurice Sand.