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menacée : tout ce bruit se faisait entre « barbares. » En 1241, quand Souboutaï et ses armées tombèrent tout à coup sur la Russie, la Pologne et la Hongrie et arrivèrent comme la foudre sur le Danube, faisant soixante-douze lieues en trois jours, balayant deux armées, ce fut, en Europe, une clameur d’épouvante, un long cri de détresse des peuples en fuite, des villes brûlées, des paysans massacrés. De toute la chrétienté s’éleva le carmen miserabile ; les évêques prêchèrent la guerre sainte et les nations consternées se tournèrent anxieusement vers cette Rome où saint Léon le Grand avait jadis arrêté Attila et où son successeur s’appelait alors Grégoire IX. Si les Tartares s’avançaient encore, en lui seulement, et dans le roi de France, il pouvait rester quelque espoir. Du champ de bataille de Liegnitz, le grand maître du Temple, Ponce d’Aubon, l’écrivait à saint Louis : « Et s’il avient chose par la volente de Dieu que cist (les Hongrois) soient vaincus, ils ne trouveront qui lor puist contrester jusqu’à votre terre. » Allait-il surgir de France un nouveau Charles Martel ? Les hommes de guerre qui avaient vu les Mongols à l’œuvre en Hongrie et en Silésie conservaient peu d’illusions : rien ne résisterait à de pareils soldats commandés par un Souboutaï ; avec ces diables, on était toujours surpris, attaqué à l’improviste, par derrière, sur les flancs ; les chevaliers étaient déconcertés par ces escadrons légers, tourbillonnant autour de leurs massives batailles ; ils étaient stupéfaits d’apercevoir, de loin, sur une hauteur, Souboutaï ou ses lieutenans dirigeant la bataille sans s’y mêler, sans tirer le sabre. Habitués aux belles apertises d’armes, aux joutes courtoises d’homme contre homme, toujours de front, ils s’indignaient des procédés des « barbares, » de ces nuées de flèches qui s’abattaient de loin, comme une pluie, et perçaient d’un trait anonyme cavaliers et chevaux. Le silence absolu qui régnait dans les rangs mongols les glaçait d’un indicible effroi. Héroïquement, ils tombaient, sans reculer : à Liegnitz et sur le Sayo les Teutoniques, les Hospitaliers, les Templiers se firent hacher sur place ; Hongrois, Allemands, Polonais, se conduisirent en gens de cœur, surent mourir, mais ils se sentaient impuissans à vaincre. « Il n’est pas gent au monde, écrit Thomas de Spalato, qui sache autant (que les Mongols), surtout à la rencontre en rase campagne, vaincre l’ennemi, soit par le courage, soit par la science du combat. » Après la campagne de Hongrie, « la question militaire est jugée ;