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malléable, sur cinq rangs de profondeur : « les deux premiers rangs portaient l’armure de plates ajustée par bandes, assez connue aujourd’hui par les nombreuses armures japonaises de ce modèle qu’on trouve partout en France, ou le corset de fer à feuilles imbriquées. Aux armes nationales, l’arc de corne et le sabre demi-courbe, ils ajoutaient la lance, souvent garnie d’un crochet rivé sur la douille de fer. Leurs chevaux étaient bardés. Les trois derniers rangs, montés sur des chevaux plus légers et sans bardes, armés de cuir bouilli ou laqué, remplaçaient la lance par la javeline. » C’étaient ces trois derniers rangs qui passaient en avant, pour engager le combat, en tirailleurs, à coups de flèches et de javelins ; quand ils avaient jeté le désordre dans les rangs, tué des chevaux et jeté bas des hommes, ils disparaissaient dans les intervalles des pelotons pour laisser les deux premiers rangs charger à fond et décider la victoire.

À la bravoure silencieuse, à l’entrain discipliné des troupes, correspond, chez les chefs, la connaissance consommée de tout ce que l’art de la guerre comporte de plus délicat. Les mouvemens les plus compliqués d’une stratégie savante : concentrations rapides et foudroyantes, marches enveloppantes à grande envergure qui font penser à la manière de Napoléon ou de Moltke, débordement des ailes, attaques de flanc et par derrière, étaient familiers aux armées mongoles. Si l’on songe aux bandes féodales, très braves, mais sans discipline, sans organisation, lourdes, incapables d’évolutions d’ensemble, qui constituaient alors les armées de la Chrétienté occidentale, l’on cesse de s’étonner que les généraux mongols, qui mirent vingt-quatre ans à soumettre la Chine du Nord, n’aient eu besoin que de deux mois pour détruire les forces de la Pologne, de l’Allemagne et de la Hongrie ! L’effroi des vaincus a prêté au Tchinghiz des soldats innombrables : la vérité est que ses armées, nombreuses pour l’époque, étaient surtout redoutables par leur cohésion, leur entraînement, et par le génie de leurs chefs. Pendant la campagne de 1219-1220, véritable modèle de l’art militaire, où la ligne du Syr-Daria fut forcée et une armée de plus de cent mille hommes dispersée sans une seule grande bataille, par l’habileté et la précision des manœuvres, les généraux de l’Inflexible n’avaient que 150 000 hommes, et ils n’en avaient laissé que 30 000 en Chine. Djébé et Sou-boutaï, pour leur fantastique chevauchée autour de la Caspienne, n’avaient que deux divisions mongoles et un corps auxiliaire,