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unitaires de toute une famille ethnique une formule et un lien. À cette nationalité qu’il constituait, Témoudjine comprit qu’il fallait donner la consécration de la victoire ; plus grand politique qu’homme de guerre, il savait cependant que le ciment qui unit les peuples est fait d’épreuves partagées et de commune gloire. La légende le représente comme ayant été, dans sa jeunesse, un forgeron : il a forgé l’Etat mongol sur l’enclume chinoise. En conduisant ses Turcs à l’assaut de l’Empire d’Or, en les faisant tous ensemble solidaires de la conquête, d’un amas de tribus réunies sous son autorité il constituait une nation, et, à cette nation, il donnait une âme. Lui-même, en prenant le titre impérial, rendait sensible la réalisation de son œuvre ; il devenait la vivante image de l’unité de son peuple. Pendant un siècle, pour la grandeur du Khan, Force du Ciel, et de l’empire mongol, des légions d’hommes ont combattu et sont morts avec une abnégation héroïque. Courber tous les fronts devant la majesté de l’Etendard bleu, plier toutes les volontés sous la loi du Yassak impérial, tel est l’idéal que l’Inflexible a donné à ses Mongols et à ses Turcs et par lequel il les a transfigurés.

C’est la pratique constante de cette politique nationale turque qui a rendu possibles les immenses conquêtes du Tchinghiz Khan. Il a trouvé de rudes ennemis parmi les rois, comme Guchlug et Djelal Ed-Dine ; mais les peuples turcs qu’il a vaincus se sont ralliés à lui sans regret, fascinés par sa gloire, séduits par les belles chevauchées et par le riche butin qu’on faisait à son service. Partout, en pays turc, avant que ses terribles capitaines parussent, il avait ses intelligences, ses amis qui le renseignaient, qui lui préparaient les voies et lui gagnaient les cœurs. L’armée battue, le prince tué, les peuples étaient à lui corps et âmes, et les reîtres venaient grossir ses troupes.

Une politique fondée sur le sentiment national ne pouvait réussir qu’à la condition d’avoir pour corollaire une rigoureuse neutralité entre les différentes confessions religieuses. Le respect de tous les cultes fut, pour le Tchinghiz Khan, un moyen de gouvernement, un instrument de conquête. Bouddhistes, chrétiens, musulmans, païens se coudoyaient dans les bureaux de sa chancellerie et marchaient côte à côte dans ses régimens. Cette étrange promiscuité témoigne d’ailleurs beaucoup moins en faveur des sentimens de tolérance et de mansuétude de tous ces Turcs, qui ont donné depuis, notamment en Transoxiane, l’exemple du