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Cependant Guchlug tint tête bravement : allié à Mehemed le Batailleur, il avait détrôné son beau-père, le Khan des Kara-Khitaï ; il prit l’offensive en Nan-Lou[1], attaquant les garnisons mongoles, molestant leurs alliés. Mais le Tchinghiz Khan revenait de Chine et, devant lui, ses terribles capitaines accouraient, doublant les étapes. « Djébé arrivait à Karakoroum et Souboutaï l’y rejoignait, ramenant ses troupes de Corée par une jolie marche de six ou sept cents lieues, une promenade pour ces gens-là. » Le temps de laisser souffler les chevaux, ils étaient sur l’Irtyche où ils écrasaient un peuple rebelle, et en Nan-Lou, dans le pays de Kachgar, où Djébé rejoignait Guchlug et lui coupait la tête. Depuis la Corée jusqu’en Transoxiane, depuis les solitudes du Nord jusqu’aux glaciers du Thibet, il ne restait plus debout un seul ennemi ; mais par-delà les Pamir, dans l’Ouest, d’autres Turcs encore régnaient sur l’empire du Kharezm, et, plus loin encore, on savait vaguement qu’il y avait des Bachkir, que d’autres appelaient Madjar, et des Boulgar, jusqu’à un grand fleuve nommé Tourna[2]. Tous ces Turcs ou cousins de Turcs devaient à leur tour s’humilier devant la puissance du Khan.

La lutte la plus rude et la plus longue fut contre les musulmans du Kharezm : mais, comme en Chine, la première campagne, sur le Syr-Daria, fut décisive : menacés par le Nord, tournés par le Fergana, Sultan Méhemed et son fils Djelal Ed-Dine furent battus. Jamais encore l’habileté stratégique et la parfaite organisation des Mongols ne s’étaient manifestées avec une plus foudroyante supériorité. Tout le bassin du Syr et de l’Amou-Daria, toute la Perse avec ses dépendances furent conquis. Djelal Ed-Dine, le héros de la résistance persane, traqué, pourchassé jusqu’à Delhi, tenait tête, reparaissait inopinément, reprenait la lutte ; une fois même il infligea à une armée mongole le seul échec que les troupes du Tchinghiz Khan aient jamais subi ; il ne périt qu’en 1231. Ses vieilles bandes, qui faisaient depuis vingt ans la plus rude guerre, allèrent prendre du service en Égypte et chez les Atabeks de Syrie ; nos croisés rencontrèrent à Gaza, en 1214, ces terribles routiers, débris des grandes guerres mongoles, ces « Corasmins » dont Joinville a

  1. Bassin du Tarini, pays de Kachgar et de Yarkand.
  2. Le Don ou le Danube : les textes chinois confondent parfois les deux fleuves.