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un aveugle fléau, sur l’Asie et sur l’Europe pour s’évanouir enfin par l’exagération même de ses conquêtes, sans laisser après elle d’autre souvenir que des ruines : c’est à peu près ainsi que l’on se représente en général le rôle historique des Mongols au temps du Tchinghiz Khan. Si la réalité répond à ce sombre tableau, s’il ne doit rester, de ces grandes révolutions de l’Asie, d’autre image que celle de villes brûlées et de pyramides de têtes humaines, ou si au contraire, autant que par la puissance du sabre, ce n’est pas par la souplesse de leur politique, par l’exactitude de leur administration et la fermeté de leur justice que ces Turcs et ces Mongols ont fondé et gouverné leur immense empire, c’est ce que nous voudrions examiner ici.


II

Dès leur apparition dans les annales chinoises, au VIe siècle, sous le nom de Tou-Kioue (Τούρϰοι (Tourkoi) en grec), nous voyons les Turcs et les Mongols en relations, tantôt d’alliance et de vasselage, tantôt d’hostilité, avec l’Illustre Nation ou avec les dynasties persanes : ils sont déjà les gardiens de la « route de la soie, » ils y conduisent les caravanes ou, selon les temps, les pillent. À cette époque, un Turc du nom de Mokan règne sur presque tous les rameaux de la grande famille, depuis les. Marches chinoises jusqu’au pays des Turcs Kiptchak (la Russie méridionale actuelle) ; ce curieux précurseur prend conscience du rôle qu’offre au peuple turc sa situation entre l’Empire d’Or et les royaumes occidentaux, il ébauche déjà le programme qu’exécutera, au XIIIe siècle, le Tchinghiz Khan, il cherche à négocier une alliance entre la Chine et l’Empire Byzantin, pour mettre à la raison les Perses, coupables de fermer la « route de la soie, » partager leur pays avec les empereurs de Roum et obliger les Abares, Turcs en rupture de ban qui couraient la steppe et inquiétaient les frontières du Danube, à rentrer sous son autorité. Une coalition entre Byzance et les Turcs contre la Perse, à cette époque, au moment où allait naître l’Islam, c’était peut-être la propagande musulmane rendue infructueuse et le triomphe assuré du christianisme nestorien qui se développait alors en Transoxiane et dans tout les pays turcs. Le formalisme des Byzantins, leur mépris pour tout ce qui était « barbare, » coupèrent court à ces vastes projets : l’Islam envahit la Perse et