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conflit actuel. Le reflux des hommes des steppes vers cet Orient asiatique, témoin de leurs premières migrations, entraîne l’histoire du monde hors des voies où les peuples d’Europe prétendaient la canaliser à leur profit, et la ramène vers cette Asie Centrale d’où sont parties les grandes races dominatrices de la terre. C’est là un fait dont les conséquences apparaîtront aux générations qui suivront la nôtre et qui ne saurait être comparé qu’à ces événemens décisifs qui divisent en grandes périodes l’histoire de l’humanité, tels que les conquêtes d’Alexandre, celles de Rome, l’invasion des Arabes arrêtée à Poitiers, la conquête de l’Asie par les Mongols[1].


I

Nulle part plus étroitement que dans les étendues immenses de l’Asie Centrale, la nature n’a contraint les hommes à adapter leur vie à ses exigences. L’altitude et l’épaisseur de ses montagnes gigantesques, la morne solitude de ses déserts, l’indéfini déroulement de ses steppes glacées où s’étalent, inutiles et superbes, des fleuves qui se perdent dans des bassins fermés ou parmi les banquises de l’Océan du Nord, l’absence de toute voie naturelle de communication et de toute mer libre, ont créé, pour les habitans de l’Asie Centrale, certaines conditions d’existence dont ils ont toujours subi l’inexorable fatalité. Les empires ont succédé à d’autres empires et les croyances à d’autres croyances sans rien changer à la vie du nomade qui hante les hauts plateaux, ou à celle du paysan chinois qui peine sur son coin de terre. L’Asie, mère de toutes les religions, est le pays de l’immuable.

De la Hollande et de l’Allemagne du Nord au désert de Gobi et aux larges vallées chinoises, un seul obstacle naturel interrompt la continuité monotone des plaines et des steppes : c’est la série des montagnes qui, depuis l’Hindou-Kouch et

  1. Nous avons puisé les principaux élémens de cette étude dans le livre de Léon Cahun : Introduction à l’Histoire de l’Asie. Armand Colin, 1896. in-8o. Léon Cahun, mort en 1900 conservateur-adjoint à la Bibliothèque Mazarine, avait voyagé dans l’Asie Centrale ; il en connaissait les langues et les dialectes, il en avait étudié les annales et les inscriptions, et il en racontait l’histoire avec une verve passionnée qui n’excluait pas une critique rigoureuse. Nous avons pris pour guide son ouvrage dont la documentation mérite toute confiance ; nous le citons ici une fois pour toutes. Le même auteur a raconté, sous forme de roman, l’épisode de l’invasion de la Hongrie en 1241 : la Tueuse. Bibliothèque des romans historiques. Armand Colin, 1893, in-12.