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grand non plus au simple point de vue critique et littéraire.

Nous n’en dirons pas autant des Lundis. Là pourtant, il y a lieu de préciser et de distinguer. On a loué, avec un certain luxe d’hyperbole quelquefois[1], l’étonnante fécondité du « travail héroïque » auquel il s’est livré durant les vingt dernières années de sa vie. On a entr’ouvert devant nous, et l’on nous a décrit avec éloquence sa « cellule de bénédictin. » On a vanté l’étendue et la précision de son information, son « exactitude merveilleuse, » les infinis scrupules de sa curiosité érudite, de sa soif de savoir et de sa conscience professionnelle ; on nous l’a représenté donnant toujours le dernier état de toutes les questions qu’il abordait, et ne négligeant aucune recherche pour épuiser tout le connu actuel des problèmes historiques qu’il étudiait. On nous l’a montré sur tous sujets plein de vues justes, pénétrantes, profondes, d’observations ingénieuses, de pressenti mens féconds, doué en un mot d’un sens historique et critique et d’une puissance de divination des plus remarquables. Enfin, on nous l’a dépeint possédant une faculté de rajeunissement et de renouvellement incroyable, sensible jusqu’au bout au vrai talent, ouvert à toutes les innovations d’art et de pensée, à toutes les juvéniles ambitions, et toujours heureux de les signaler au grand public et de « sonner le coup de cloche. » Et il y a, certes, du vrai, beaucoup de vrai dans ce portrait. — Avouerai-je cependant qu’il me paraît çà et là un peu idéalisé et qu’il me semble ne pas convenir aussi exclusivement qu’on le prétend au seul Sainte-Beuve ? Je crains même parfois que, si l’on s’avisait, avec les seuls instrumens de travail, bien entendu, et dans le même laps de temps dont il disposait, de refaire quelques-unes des enquêtes auxquelles Sainte-Beuve s’est livré, on n’y découvrît plus d’une lacune. Mettons cela, j’y consens, sur le compte des nécessités impérieuses du journalisme contemporain. Mais je ne puis entièrement souscrire à ce que, tout récemment, dans son discours de Liège, M. Lanson disait des articles des Lundis :

  1. Voir notamment Scherer, Études sur la Littérature contemporaine, t. IV, Sainte-Beuve.