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d’études critiques qui ont suivi, son œuvre, — j’entends comme impulsion donnée, comme exemple fourni et comme idées directrices, — serait à bien peu près tout ce qu’elle est déjà. Dans la suite des Portraits Littéraires ou Contemporains, dans le Chateaubriand, dans les Lundis et Nouveaux Lundis, Sainte-Beuve n’a guère fait que de monnayer le fond d’idées, de doctrines et de procédés critiques qu’il avait appliqués dans Port-Royal.

Il s’était résigné à la critique, non sans des retours parfois amers vers ses ambitions d’autrefois. Tout en poursuivant son Port-Royal, pour vivre d’abord, et puis parce que ce genre de production convenait assez bien à son tempérament et à son caractère, il s’était laissé reprendre par la critique au jour le jour, et il s’était remis à faire des portraits.


Décidément, déclarait-il, ce genre de Portraits que l’occasion m’a suggéré… m’est devenu une forme commode, suffisamment consistante et qui prête à une infinité d’aperçus de littérature et de morale : celle-ci empiète naturellement avec les années, et la littérature, d’ailleurs, a pris un tel accroissement de nos jours que, par elle, on se trouve induit sans peine à toutes les considérations sur la société et sur la vie <[1].


Un moment interrompue par les événemens de 1848 et sa campagne de professorat à Liège, cette série d’études critiques a été reprise de plus belle en 1849, d’abord au Constitutionnel, puis au Moniteur. Ce sont les Lundis.

On a tout dit sur les Lundis ; et peut-être l’admiration très légitime que l’on a professée pour cette partie de l’œuvre de Sainte-Beuve s’est-elle parfois exercée aux dépens de ses autres écrits : on ne veut souvent voir que les Lundis dans son œuvre, et l’on oublie trop aisément et le Port-Royal et les premiers Portraits. D’autre part, cette admiration un peu générale et confiante ne gagnerait-elle pas en vivacité et en profondeur à se soumettre à l’épreuve de la critique, à admettre certains tempéramens et quelques réserves, et à ne porter en définitive que sur les seules portions qui, expérience faite, en paraîtraient entièrement dignes ? Les légendes ne conviennent à personne moins qu’à Sainte-Beuve. Lui qui n’aimait point à être dupe, il nous en voudrait d’être la sienne. Il est d’ailleurs assez grand pour n’avoir pas besoin d’être surfait, et pour n’avoir rien à craindre de la vérité.

  1. Préface du tome IV des Critiques et Portraits Littéraires (1839).