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lui a littéralement annexé de nouvelles provinces ; il lui a conquis définitivement le droit de ne pas se cantonner uniquement dans les questions purement littéraires, d’étudier en lui-même et pour lui-même le problème religieux sous ses diverses formes, et d’en proposer une solution. A partir du Port-Royal, Sainte-Beuve a pu prononcer, en son nom et au nom de tous ceux qui viendraient après lui, la parole célèbre : « Tout ce qui est d’intelligence générale et intéresse l’esprit humain appartient de droit à la littérature, » et donc à la critique. On voit l’élévation de l’idéal, et l’élargissement de l’horizon. Il s’est passé ici quelque chose d’analogue et d’inverse à ce qui avait eu lieu un demi-siècle auparavant, lors de la publication du Génie du Christianisme. Qu’est-ce que le grand ouvrage de Chateaubriand ? Une admirable étude d’esthétique et de critique littéraire encadrée dans une apologie, — parfois un peu faible, — de la religion chrétienne. Mais les parties proprement littéraires, — et surtout si l’on y joint Atala et René, — étaient si pénétrantes et si neuves, elles avaient une telle portée, elles révélaient une telle supériorité de vision et de talent, qu’elles projetèrent un peu de leur gloire sur tout le reste ; et, le livre s’annonçant comme une œuvre apologétique, ce furent l’apologétique et l’idée chrétienne elles-mêmes qui bénéficièrent de l’originalité et de l’éclat des pages littéraires. Ici, dans le Port-Royal, par un juste retour, ce sont les pages d’histoire et de psychologie religieuses qui ont payé tribut et prêté un peu de leur valeur propre à la critique littéraire. Sainte-Beuve nous dit que pour son ouvrage il avait reçu de Chateaubriand les plus intelligens et les plus précieux encouragemens. Je ne m’en étonne point. Le grand artiste avait senti d’instinct entre les deux œuvres les mille rapports secrets qui les rattachaient l’une à l’autre. Et de fait, qu’est-ce à le bien prendre que le Port-Royal de Sainte-Beuve, sinon une sorte de Génie du jansénisme ?


V

« Mon livre de Port-Royal, écrivait Sainte-Beuve vers la fin de sa vie, est le plus approfondi et le plus personnel de ceux que j’ai faits ; et c’est là, à y bien regarder, qu’on me trouvera tout entier, lorsque je suis livré à moi-même et à mes goûts. » Et cela est si vrai que, s’il n’avait pas écrit les quarante volumes