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façon aussi de pénétrer dans les lettres par une porte dérobée. Il a d’ailleurs du goût, des lectures, un certain sens historique, et une prédilection déjà marquée pour « les coteaux modérés. » Avec cela, le désir de voir clair et de montrer qu’il n’est point dupe. « Le propre de tout vrai critique, disait-il plus tard, est de ne pouvoir garder longtemps le mot qu’il a sur le bout des lèvres : cela le démange. Très jeune, dans un journal, le Globe, j’étais comme cela. » En même temps, car il faut vivre, il entreprend, sur le conseil de Daunou, l’étude de la poésie française du XVIe siècle en vue d’un concours académique.

Cependant, il était ou se croyait poète : il écrivait pour lui-même des vers où il essayait d’exprimer ce fond de sensibilité souffrante et inquiète, cette « tristesse resserrante » qu’il devait bientôt exhaler dans son Joseph Delorme. Entré en relations avec Victor Hugo, enrégimenté bientôt parmi les poètes du Cénacle, il se convertit littéralement au romantisme. Et cette conversion produit d’abord un double effet. D’une part, elle le consacre officiellement poète : il se sent dès lors encouragé à publier ses vers. D’autre part, la grâce opère et fait qu’il va trouver à la critique une utilité pratique et un intérêt qu’il n’avait pas encore aperçus : il y voit maintenant un moyen tantôt détourné et tantôt direct de soutenir ses jeunes amis, de défendre leurs théories communes et leur idéal d’art, de combattre leurs adversaires, de légitimer leur attitude et de leur découvrir une tradition et des ancêtres.

C’est ainsi que ses recherches sur la poésie française du XVIe siècle garderont certes une bonne part de leur valeur proprement historique ; mais elles lui serviront en même temps à rattacher à Ronsard et à Du Bellay les poètes de la jeune école. Et, sans parler ici des services immédiats qu’il rend à ces derniers, pour lancer ou patronner leurs œuvres, — articles sur eux, lettre aux Débats pour défendre Cromwell, rédaction du Prospectus des œuvres complètes de Victor Hugo[1], — il s’avise,

  1. Voyez, pour les détails, l’excellente Bibliographie des écrits de Sainte-Beuve, de ses débuts, non pas à sa fin, comme l’auteur l’a imprimé par erreur, mais jusqu’aux « Lundis, » que M. G. Michaut a jointe à son ouvrage sur Sainte-Beuve avant les « Lundis. » Sur toute cette première partie de la vite et de l’œuvre de Sainte-Beuve, le gros, un peu gros livre de M. Michaut est essentiel ; et il n’y a guère, le plus souvent, qu’à résumer ses Unes, exactes et abondantes analyses. — — Cf. dans la Revue du 15 février 1904 l’article de M. René Doumic sur les « Métamorphoses » de Sainte-Beuve.