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des œuvres de l’esprit humain ? » Et encore : « La critique a admiré jusqu’ici les chefs-d’œuvre des littératures, comme nous admirons les belles formes du corps humain. La critique de l’avenir les admirera comme l’anatomiste, qui perce ces beautés sensibles pour trouver au-delà, dans les secrets de l’organisation, un ordre de beautés mille fois supérieur. » Nous voilà bien loin de ce mépris que poètes et romanciers affectaient jadis pour ceux qui, par impuissance et stérilité d’esprit, pensaient-ils, faisaient métier d’apprécier leurs œuvres. Scherer, ce Renan protestant, une fois détaché de ses croyances religieuses et de ses fonctions pastorales, ne croit pas déchoir en se vouant pour le reste de sa vie à la critique, où, entre Renan et Taine, on sait la place considérable qu’il s’est faite. Enrichie par tous ces apports successifs, illustrée par tous ces talens, honorée par tous ces hommages, élevée par les uns au rang de la philosophie, par les autres au rang de la science, par d’autres enfin au rang de l’art, la critique, dans ce dernier demi-siècle, ne se reconnaîtrait plus dans ce malicieux portrait que traçait d’elle autrefois La Bruyère : « La critique n’est pas une science, c’est un métier, où il faut plus de santé que d’esprit, plus de travail que de capacité, plus d’habitude que de génie. »

Et assurément, ce n’est pas sans soulever parfois des protestations véhémentes que la critique a peu ô peu conquis dans la série des genres littéraires l’une des premières places. Il serait facile de relever dans les œuvres des jeunes poètes et des jeunes romanciers contemporains la trace ironique ou indignée des injustes ou puérils dédains d’autrefois. Combien d’entre eux sont encore tentés de croire que l’unique raison d’être de la critique et des critiques est d’annoncer et de prôner leurs œuvres ! À cette condition, ils consentiraient peut-être à nous laisser vivre. Mais qu’on n’aille pas leur dire qu’il y a plus de « génie, » — ou, si l’on préfère, plus de pensée, plus d’observation morale et de talent de style, — dans tel article de Taine que dans tous leurs vers ou leurs romans réunis. Ils nous renverraient triomphalement à ces boutades de Flaubert : « La critique est au dernier échelon de la littérature, comme forme presque toujours, et comme valeur morale ; incontestablement elle passe après le bout-rimé et l’acrostiche, lesquels demandent au moins un travail d’invention quelconque. » « O critique ! s’écriait encore l’auteur de Bouvard et Pécuchet, éternelle médiocrité qui vit sur