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avouons-le, nous vient aux lèvres en le lisant de nos jours. « Il y a, disait Sainte-Beuve, nombre de pensées droites, justes, proverbiales, mais trop communes dans Boileau, que La Bruyère n’écrirait jamais et n’admettrait pas dans son élite. » Et cela est vrai. Mais de là à prétendre que La Bruyère, comme l’insinue Sainte-Beuve encore, avait conscience de sa supériorité sur Boileau, et qu’il s’est délibérément proposé de faire « quelque chose de mieux et de plus fin, » il y a, ce semble, une singulière distance. La Bruyère n’a pas eu pour Boileau d’autres sentimens que Racine, La Fontaine ou Molière, et ceux-ci n’auraient pas eu à l’égard du « législateur du Parnasse » l’amicale déférence que l’on sait, s’ils n’avaient pas vu en lui un poète, un de leurs pairs par conséquent, et dont ils pouvaient sans déroger suivre les directions et accepter les conseils. L’art de « faire difficilement des vers faciles, » il l’avait pratiqué avant de l’enseigner aux autres ; et son enseignement n’aurait eu peut-être aucune action si ses vers n’en avaient point prouvé la légitimité et souligné l’importance. Ce n’est pas la haute valeur de sa critique qui a fait la fortune de sa poésie ; c’est au contraire sa poésie qui a consacré et imposé son autorité critique.

Nous venons de parler de La Bruyère. Le moraliste des Caractères est, à ses heures, chacun le sait, un critique littéraire exquis. Il partage ce privilège avec Pascal et avec Fénelon. Mais tous trois n’ont touché à la critique qu’en passant, en « honnêtes gens » qui donnent leur avis sur des questions à l’ordre du jour, mais non pas du tout en professionnels. Leurs préoccupations dominantes sont ailleurs. Pascal ne s’y serait point arrêté, si, convaincu comme il l’était, de la valeur persuasive du style, il n’avait cru de son devoir d’apologiste d’en connaître les procédés et d’en étudier les lois. Fénelon s’est diverti un jour à écrire la Lettre à l’Académie ; mais qu’est-ce que ce mince opuscule dans toute l’œuvre de Fénelon ? Peu de chose assurément en comparaison des Maximes des Saints et du Traité de l’existence de Dieu. La Bruyère même, le plus « auteur » d’entre eux, n’a qu’un chapitre sur les Ouvrages de l’esprit, et je me demande s’il n’attachait pas plus de prix au portrait d’Onuphre ou à celui de Ménalque qu’aux pages, si délicates pourtant, où il abordait les problèmes d’art et de goût. Les prosateurs comme les poètes ne se livrent alors à la critique que par occasion : ils n’en tiennent pas boutique ou enseigne, comme eût dit Pascal