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sont des boutiquiers, des revendeurs, d’humbles artisans installés à leur compte. Comme à Bucarest et dans toute la Roumanie, les Roumains y ont bâti de superbes édifices. Son Université qui la domine, au milieu de grands jardins, est surchargée d’ornementations. Les peintres y ont tant prodigué leurs peintures que les livres à moitié chassés de la bibliothèque sont descendus au sous-sol. Le palais du prince héritier encore tout neuf se délabre déjà. Je ne crois pas qu’il ait jamais été habité. On m’a montré, presque au centre de la ville, des tas de pierres provenant de maisons démolies et qui sont là depuis sept ans. Les quartiers misérables s’étendent sur un large espace. Ce sont des amas de bicoques où l’on vend des décombres. J’y ai vu des entassemens incroyables de hardes, de cordes, de bonnets, de licous, de souliers, de roues et de vieilles ferrailles.

Mais du sein de ces bric-à-brac se dégage l’église de Saint-Nicolas avec ses murs rouges et ses faïences enluminées de saintes figures. C’est comme si, après avoir traversé d’innombrables pouilleries, vous aperceviez tout à coup dans une salle heureuse un bel arbre de Noël tout illuminé. Quelle joie enfantine pour les yeux que cette église de Saint-Nicolas ! Et qu’elle est bien à sa place dans cette ville moldave dont la population indigène semble n’attendre sa prospérité que de la visite des Saints du ciel ! Je préfère pourtant l’église des Trois Hiérarques. Ah ! celle-là, je le confesse, si j’avais pu la voler et m’enfuir, aucune considération ne m’aurait retenu ! Je n’ai jamais éprouvé pareille tentation d’emporter une église. Mais aussi, que fait-elle dans ce terrain vague, devant cette rue où ne passent que des fripiers ? Est-il permis d’exposer à notre convoitise un si délicieux bijou ? Et pourquoi notre compatriote, M. Lecomte du Nouy, l’habile restaurateur, lui a-t-il rendu toute la grâce de la jeunesse ? Elle est byzantine, elle est russe, elle est persane, elle est ensorcelante comme une exquise mariée sous son voile de dentelle et d’or. On a peur que les vents des steppes russes ne l’enlèvent un soir d’hiver. Son intérieur : un brasier d’or sous cette neige de pierre. Je reproche aux églises orthodoxes de m’éblouir. Mon rêve cherche en vain à se frayer un passage au travers de leur flamboiement et de leur splendeur. Mais je ne reproche rien à l’église des Trois Hiérarques et je jouis de mon éblouissement.

Nous en sortîmes à l’heure où les anciens d’Israël tiennent leurs conciliabules dans les rues. Il semble que tous les pa-