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élections : c’était le seul parti à prendre. L’opinion la plus répandue était qu’il triompherait ; on le croyait à Vienne, où François-Joseph ne cachait pas ses sympathies pour lui ; on le croyait également à Pest, où l’opposition se contentait de dire qu’elle ne désarmerait pas pour cela, et qu’elle continuerait la lutte dans la Chambre nouvelle par les mêmes moyens que dans l’ancienne. Mais M. Tisza a été battu, on peut même dire écrasé. Il n’a eu, en effet, que 151 voix, tandis que l’opposition en a eu 242, ainsi décomposées : 159 membres du parti Kossuth, 27 libéraux dissidens du comte Andrassy, 21 membres du parti catholique populaire, 13 membres du parti Banffy, 10 indépendans et 9 nationalistes. Ces derniers sont les représentons des nationalités non magyares. Coalition, avons-nous dit, et on voit combien elle est bigarrée ! Mais le fait saillant qui s’en dégage est que le groupe de beaucoup le plus nombreux de la majorité, plus nombreux à lui seul que la minorité tout entière, est celui de M. François Kossuth, c’est-à-dire le groupe de l’indépendance, ou, pour être plus exact, de la séparation de la Hongrie et de l’Autriche. M. Kossuth est toutefois moins révolutionnaire que son nom ne semblerait l’indiquer. Entre son père, le héros de 1848, et lui, chef de groupe aujourd’hui, il y a eu le compromis de 1867 avec toutes ses conséquences. Elles ont été si heureuses pour la Hongrie qu’on a peine à comprendre que des Hongrois en attaquent aujourd’hui le principe. Au surplus, M. Kossuth lui-même, héritier d’une tradition qu’il ne peut pas désavouer, reconnaît la nécessité d’y apporter dans la pratique des tempéramens et des transitions. Nous sommes loin, avec lui, des revendications de 1848, et l’esprit opportuniste de Deak n’est pas encore mort.

Malgré tout, la situation reste critique. François-Joseph, après avoir appelé à Vienne un certain nombre d’hommes politiques pour les consulter, — et on a remarqué qu’il avait oublié M. Kossuth, — a prié M. le comte Andrassy, non pas encore de former un cabinet, mais, après avoir fait une enquête sur la situation, de proposer le meilleur moyen de la dénouer. Si M. le comte Andrassy avait réussi dans sa mission, il aurait naturellement été chargé de former le futur ministère ; mais il n’y a pas été jusqu’ici complètement heureux. L’idée du souverain paraît avoir été de reformer la majorité libérale par le retour des élémens dissidens et par une entente qui ne semblait pas impossible avec quelques autres élémens de la majorité. Cette idée était très politique ; il valait la peine d’en tenter l’épreuve ; mais elle n’a pas abouti. Après quelques jours de pourparlers avec ses collègues,