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parlementaires où l’opposition, c’est-à-dire la minorité, a essayé d’empêcher la majorité de remplir son office naturel et légitime, au moyen de l’obstruction. L’obstruction est la pire maladie dont le régime parlementaire puisse souffrir, puisqu’elle s’attaque à son principe même et empêche son fonctionnement. On ne saurait y appliquer des remèdes trop héroïques. Seulement il faut le faire avec dextérité et avec succès : dans les entreprises de ce genre, rien ne dispense de réussir.

Après quelques tentatives gouvernementales assez malheureuses, François-Joseph a confié le pouvoir à M. Stephan Tisza, fils de l’illustre Koloman Tisza, qui a gouverné si longtemps la Hongrie et lui a rendu d’incontestables services. La principale qualité de M. Tisza, non pas la seule assurément, mais celle qui domine toutes les autres, est l’énergie. Ce ministre, renommé pour la force et la ténacité de sa volonté, s’est proposé de vaincre l’obstruction, et, pour cela, il a fait changer le règlement de la Chambre par des moyens qui, il faut bien l’avouer, n’étaient pas très corrects. Il a appliqué, en effet, le futur règlement à sa propre discussion : en d’autres termes, il l’a mis en usage avant qu’il fût voté. L’escamotage une fois opéré, M. Tisza s’est empressé de suspendre le Parlement. Tout cela s’est passé d’une manière si rapide, si précipitée même, que l’opposition en a été sur le premier moment interloquée ; mais elle s’est vite ressaisie pendant les vacances qui lui étaient imposées, et elle a commencé dans le pays une agitation qui a pris en quelque jours le caractère le plus passionné. La couronne même était atteinte : des sommations à peine déguisées étaient adressées au souverain d’avoir à faire respecter les libertés fondamentales et la constitution du royaume. Quand la Chambre est rentrée en session, on a pu mesurer le progrès du mal. La scène qui a eu lieu a dépassé en violence tout ce qu’on avait encore vu, non seulement en Hongrie, mais dans un pays quelconque. La salle des séances a été littéralement saccagée, le fauteuil du président brisé, ceux des ministres mis en miettes, et les auteurs principaux de cette dévastation étaient les hommes les plus considérables du pays, M. le comte Albert Apponyi ancien président de la Chambre, M. le baron Banffy ancien premier ministre, M. le comte Andrassy, etc. Ce dernier et ses amis étaient des libéraux dissidens qui, révoltés par les procédés dictatoriaux de M. Tisza, s’étaient brusquement jetés dans l’opposition. M. Tisza a compris alors que la Chambre était devenue ingouvernable, et qu’il avait d’ailleurs besoin lui-même d’obtenir du pays un bill d’indemnité. Il a dissous la Chambre et procédé à des