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au contraire nos femmes s’agitent, s’énervent, elles ont d’impérieux besoins de déplacement. La déserteuse de M. Brieux ne reprenait pas sa place à ce foyer, attendu qu’une autre y avait été installée. Et voilà l’inconvénient du divorce ! Mais dans Maman Colibri et dans le Bercail, tout finit bien. La femme coupable, après une fugue plus ou moins longue, et, quand elle a épuisé jusqu’à la lie la coupe d’un triste adultère, songe qu’après tout, ce qu’elle a de mieux à faire est de rentrer au bercail. Elle y rentre, comme on rentre d’une villégiature. Nul ne s’en étonne, ni sur la scène, ni dans la salle. On ne croit pas même qu’il soit nécessaire d’invoquer pour la circonstance les grandes théories du pardon, qui furent à la mode il y a une dizaine d’années. Nous avons simplifié tout cela. On se quitte, on se reprend ; on s’en va, on revient. On n’est pas fâché, au surplus, de savoir qu’il y a quelque part un intérieur où on peut se rejoindre, de temps à autre, rencontrer des figures de connaissance et se conter ses aventures de voyage. C’est une conception nouvelle et très moderne. C’est la famille remplacée par la pension de famille.

Mme Simone Le Bargy a donné, à force d’intelligence et de nervosité, une apparence de vie au personnage d’Éveline. M. Tarride est excellent de naturel dans celui du mari ; et M. Grand a trouvé dans celui du poète Jacques Foucher un rôle tout à fait à sa mesure.


C’est mieux qu’un à-propos, c’est une petite comédie des plus ingénieuses que nous a donnée M. Courteline dans sa Conversion d’Alceste jouée à la Comédie-Française pour l’anniversaire de Molière. L’auteur imagine que le héros de Molière s’est converti. Bien lui en a pris ! Et la complaisance va lui être plus funeste que ne l’avait été toute sa misanthropie. Oronte lui revient lire un sonnet, plus mauvais cent fois, plus alambiqué et plus prétentieux que le sonnet de Philis. Alceste a l’imprudence de régaler le liseur de quelques complimens. C’est pour s’entendre bientôt traiter d’âne et de fourbe :

Parbleu ! mon cas est neuf et vaut d’être conté.
On me lit un premier sonnet ; je le condamne.
Le poète entre en rage et je suis traité d’âne.
Il m’en lit un second. J’y donne mon bravo.
L’auteur entre en fureur ; je suis âne à nouveau !
Donc âne si je blâme, âne encor si j’encense !
Je voudrais pourtant bien qu’on me donnât licence
De trouver qu’un sonnet est bon ou ne l’est pas
Sans être ânifié dans chacun des deux cas !