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vieux brave. A cinquante ans passés, s’étant toujours tenu en dehors des coteries, il arrive enfin à la réputation, à l’aisance : c’est le prix d’une carrière de labeur et de probité. Ce sauvage n’est d’ailleurs pas un bohème. Il est marié à une femme qu’il aime d’une affection solide, après l’avoir jadis aimée d’amour ; il a un grand garçon de fils, un peu braque, ainsi qu’il convient à cet âge, d’ailleurs tout à fait gentil, bien doué et qui promet de faire un bon peintre. Marèze dirige un atelier de jeunes filles, et il éprouve, à se trouver dans ce milieu féminin, un plaisir innocent, bien sûr, mais tout de même légèrement suspect. Encore, le danger n’est-il pas qu’il y ait autour de Marèze tant de jeunes filles, mais c’est que, parmi elles toutes, il arrive à n’en voir qu’une seule. Cette élève de prédilection est la « massière » de l’atelier, Juliette Dupuy. En qualité de massière, c’est elle qui a le plus d’occasions de parler au maître, de l’aller voir ; et, puisque ses fonctions mêmes font d’elle la représentante et l’avocate de l’atelier, quoi de plus naturel que l’espèce de familiarité créée par des rapports quotidiens ? C’est une honnête fille, intelligente, laborieuse, très supérieure en talent à ses camarades, et qui, bien dirigée, pourra devenir vraiment une artiste : il est tout simple que le maître s’intéresse à elle. Il s’enquiert de sa famille, de ses ressources, d’autres choses aussi ; et c’est même la nature de certaines des questions qu’il lui pose, qui commence à nous donner l’éveil. H s’inquiète de savoir si on a, chez les Dupuy, de quoi payer le terme, et encore si la jeune fille est sage… Cela n’est plus du ressort de l’enseignement des beaux-arts.

Tout le premier acte brillant et léger sert à indiquer le sujet, à poser les personnages et à dessiner le milieu. On voit sans trop de peine pourquoi l’auteur a fait de son personnage un peintre et choisi un milieu d’artistes ; ce n’est pas seulement parce qu’il a pu trouver l’idée de sa pièce dans quelque anecdote empruntée à la chronique du monde des arts ; mais c’est que ce milieu était très favorable à réclusion du sentiment que nous allons voir se développer dans le cœur du vieux maître. En effet, de professeur à élève s’établit une intimité à laquelle on ne peut, sans pruderie, trouver à redire. L’intérêt porté par le maître à une disciple particulièrement douée, la confiance de celle-ci dans un guide qu’elle a choisi, pour avoir depuis longtemps admiré ses œuvres, peuvent faire d’abord illusion. Et sous le couvert de sentimens si légitimes, d’autres naissent et grandissent dont on ne s’est pas méfié.

Toutefois, je crains que M. Jules Lemaître, en s’attardant avec trop de complaisance à nous mettre sous les yeux, dans son premier acte,