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files, pour entendre prêcher des missionnaires. Ainsi les souillures qui avaient affligé l’Eglise n’avaient point exercé, parmi le peuple, la contagion qu’on eût pu redouter.

Entre ce peuple et l’Église revivifiée, les grandes fêtes de Trêves, de l’année 1844, furent l’occasion d’un somptueux rendez-vous. Evêques et chanoines de Trêves s’enorgueillissent, à travers les âges, d’une relique auguste, que leurs traditions appellent la sainte Tunique du Christ : en 1844, l’évêque Arnoldi la fit exposer. Trêves, alors, n’avait pas de chemins de fer. Sept semaines durant, d’innombrables pèlerinages cernèrent et envahirent la ville ; les uns venaient à pied, de très loin, par longues étapes, les autres arrivaient par la Moselle, sur des barques ; parfois on stationnait des journées entières avant de pouvoir franchir l’enceinte de Trêves. Avec un emportement de dévotion qui faisait songer aux croisades, avec une soif de miracles dont le siècle antérieur eût été déconcerté, ces foules se ruaient vers la Tunique, pour approcher, une seconde seulement, le vénérable lambeau. « Est-ce bien la même tunique ? Je ne sais, écrivait la comtesse de Hahn-Hahn, la célèbre romancière ; mais c’est la même foi qui jeta jadis la femme malade aux pieds du Christ, pour toucher seulement la frange de son vêtement. » La critique historique de Sybel, qui, dans une érudite brochure, affirmait « savoir, » lui, que « ce n’était pas la même tunique, » était dédaigneusement étouffée par la voix du peuple. Et les cortèges repoussaient les cortèges, et l’on s’en retournait, toujours chantant et toujours en procession ; et d’un bout à l’autre de la région rhénane soufflait une brise de cantiques.

On évaluait les pèlerins à un million, quand soudain, pour bafouer cette foule, un jeune prêtre éleva la voix, à l’autre bout de l’Allemagne. Il s’appelait Jean Ronge, et déjà, précédemment, dans un journal saxon, avait interpellé le Saint-Siège sur les retards qu’on mettait à pourvoir le siège épiscopal de Breslau. A l’automne de 1844, la presse reproduisit à profusion la lettre qu’il écrivait à l’évêque Arnoldi : au nom de la chrétienté, de la nation allemande, des instituteurs allemands, ce vicaire suspendu, devenu précepteur, sommait l’évêque de cacher la Tunique, qui faisait de l’Allemagne « la risée des autres nations, » et s’attendrissait sur la masse des pauvres gens, qui, rentrant de Trêves, trouvaient à leur foyer le chômage et la faim. Une série