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guet dans l’Allemagne intellectuelle ; et l’on ne pouvait attendre d’elle, dans sa mission policière, cet esprit d’accommodement paternel et de capricieux laisser aller qui souvent tempérait la rigueur d’une autre douane, celle des États Romains. La Prusse, elle, ne transigeait ni ne badinait ; cette royauté qui se donnait volontiers comme la puissance protestante par excellence comprimait avec une ombrageuse dureté toutes les protestations de la pensée contre sa propre orthodoxie du moment, religieuse ou politique.

Or un jour vint où, dans ce réseau de précautions et de surveillances, quelques mailles cédèrent ; avec fracas, une déchirure se produisit : c’était l’idée catholique qui faisait violence aux dogmes de l’Etat prussien, et c’était l’Église catholique qui revendiquait, contre lui, l’autonomie de la société religieuse. Partout en Allemagne, l’omnipotence des États avait installé des bureaux pour régir l’âme humaine, et une maréchaussée pour exécuter les ordres des bureaux : nulle part l’outillage d’asservissement n’était aussi perfectionné qu’en Prusse, et nulle part, — les « vieux luthériens » l’avaient appris à leurs dépens, — le maniement n’en était plus impitoyable. C’est contre cette organisation raffinée que l’Église romaine, dans l’affaire de Cologne, avait engagé la lutte : passant outre à l’esprit de servilité de ses propres chanoines, à l’esprit de timidité de ses propres évêques, s’appuyant à l’Ouest sur le peuple rhénan, à l’Est sur le peuple polonais, l’Église, en la personne de deux archevêques, avait cerné la Prusse, et la Prusse avait cédé. La « sainte Cologne, fille fidèle de l’Église romaine, » Cologne, « la seconde Rome, » — comme l’appelaient ses vieux historiens, — fut dans la Prusse du XIXe siècle le sol d’élection sur lequel la conscience religieuse reconquit le droit de respirer.

Il n’y a pas d’années plus fécondes, dans l’histoire du catholicisme allemand, que celles qui suivirent cette capitulation prussienne. Elles sont d’une étude complexe et subtile : on y voit périr le romantisme, qui s’attardait à contempler, par-dessus la structure interne du catholicisme, la vieille patine déposée par les âges ; on y voit se développer des revendications catholiques, une action catholique, une force populaire catholique, qui prédestinent l’Église, hier admirée comme une auguste antiquité gothique, à jouer, dans la prochaine Allemagne, un rôle public et social.