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rale … — Les beaux mots ! m’écriai-je. — C’est l’avenir, reprit-il ; Nous nous séparons des conservateurs en ce que les conservateurs n’ont pas la même confiance que nous dans le paysan roumain. Et cependant nous n’avons rien de meilleur en Roumanie. Le paysan est notre grande réserve ethnique, notre source d’énergie, notre salut. C’est parce qu’ils ont eu foi en lui que les Bratiano et les Golesco, les hommes de 48 et ceux de 78, ont réalisé la double merveille d’intéresser l’Europe et d’assurer notre indépendance. Qui nous a conservé notre langue ? Le paysan. Qui est mort dans les tranchées de Plevna ? Le paysan. Or, ce paysan est malheureux. Certes, nous avons fait beaucoup pour lui, si l’on se reporte au passé, mais bien peu, si l’on songe à tout ce qui reste à faire. Nous avons commencé à l’instruire. Nos cantines scolaires, à l’usage des enfans qui demeurent trop loin de l’école, nos caisses d’épargne sont d’excellentes institutions. Remédient-elles aux maux dont il souffre ? Non. N’attribuez pas ses révoltes à l’excitation des hommes politiques. Tous les hommes politiques, gros propriétaires, en ont peur. Quand leurs paysans leur demandent pour qui voter, nos braves terriens s’empressent de leur répondre : « Pour le candidat du préfet ! » tant ils redoutent que ces paysans, rompant la discipline, ne viennent un jour aiguiser leurs houes aux portes de la Chambre … — Comme autrefois, lui dis-je, dans vos fameuses journées, les bouchers de Rosetti y aiguisaient leurs couteaux. Vous avez toujours grand soin, au milieu de vos discussions, de mettre les paysans hors de jeu. « N’y touchons pas ! » répètent vos politiciens. Cela dit, ils allument des feux sur la lisière des maïs et s’en jettent les brandons à la tête. — Oh ! fit-il, nos mœurs politiques se sont améliorées. Je vous concède pourtant que nos appels à la rue et aux faubourgs sont des procédés dangereux. Mais si parfois les paysans se cabrent, ce n’est que sous l’éperon de la misère. On vous montrera des contrats agricoles qui vous paraîtront justes et même bienveillans ; seulement, il faut savoir comment ces contrats sont appliqués ! Toutes les clauses concernant les propriétaires sont respectées : on escamote les autres. Par exemple, les redevances du métayer ne sont pas prélevées au moment opportun. Le puissant fermier laisse les choses traîner en longueur, afin que les hasards de la saison qui s’avance livrent le paysan pauvre à son entière discrétion. Notre malheur, c’est que beaucoup de propriétaires rou-