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trième acte : il règne de plus en plus. Les paysans qui font appel à la justice sont jetés dans des basses-fosses ou condamnés aux mines de sel. Son représentant à Constantinople lui mande que sa chute est prochaine et son trône remis à l’encan : il se hâte de jouir. Le firman qui le dépose est en route : il se gorge. Le Métropolitain le lui transmet : il vide les caisses, cependant que les indigènes se consolent de son départ en préparant la réception de son successeur. — Cinquième acte : notre hospodar est empalé, à moins que le quartier du Fanar ne s’embellisse d’un nouveau palais où il jouit en paix de sa fructueuse administration.

Dans le nombre des Fanariotes, il y en eut de bons, il y en eut de pires. Mais les boyars ne valaient pas mieux. Un Grec à cheval, les étriers hauts et les genoux en équerre, « branlant la tête comme un magot de plâtre, » les remplit d’une sainte épouvante. Qu’ils demeurent tapis chez eux ou qu’ils roulent carrosse dans les rues défoncées des villes et singent effrénément la société de Vienne et de Paris, les témoignages restent les mêmes, d’une précision monotone et accablante. Ils sont fainéans, vaniteux jusque-là qu’ils se croient les plus nobles des Occidentaux, prodigues d’un or qu’ils font suer aux paysans dans d’infâmes supplices, enragés de jouissance, gavés de bonne chère, subtils et cruels. « Quand j’ai visité les salines, écrit en 1839 F. Colson, c’est-à-dire les bagnes où sont envoyés les plus grands criminels, je n’y ai pas trouvé un seul boyar ! »

Mais leur vie est un bagne. Ces esclaves de leur ventre et de leur vanité le sont encore plus des hospodars. Le Turc décapite aussi facilement un hospodar qu’un hospodar fait d’un boyar et un boyar d’un paysan. Partout la trahison, la vénalité, la paresse et la mort. Thouvenel, en 1840, l’aimable Saint-Marc Girardin, quelques années avant, s’étonnent d’une démoralisation si profonde. Entre les boyars, dont les plus intelligens sont des blasés, et les paysans en fuite ou terrés dans leurs tanières, point de bourgeoisie ; des étrangers, des Arméniens, des Levantins, d’anciens janissaires, des Juifs trafiquent et remplissent toutes les fonctions. Le divorce a dissous la famille ; la peur, le sentiment de la patrie. Aucune religion : des pratiques grossières. Le clergé national s’avilit dans une ignorance gothique et presque cimmérienne. Mais, au milieu du silence des campagnes, d’admirables monastères, dédiés aux Saints Lieux, se dressent,