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Ici s’arrête le dialogue, au moment le plus intéressant. Mais il nous a déjà appris beaucoup de choses, et nous pouvons en deviner bien d’autres. Si jamais mère prit au sérieux ses devoirs d’éducatrice, certes ce fut George Sand. Mais celle-ci, désireuse par-dessus tout d’une réforme morale chez sa fille, combat sa « personnalité » avec force, hauteur, éloquence, ce qui la rend d’ailleurs un peu moins sensible aux progrès de cet esprit souple, vif, brillant et déjà acéré. La jeune fille, qui sent sa valeur, et qui alimente sa sève à la lecture sinon dangereuse, en tout cas prématurée des livres de sa mère, trouve qu’on est injuste envers elle, discute déjà et riposte, non sans esprit. Chacune fournit à l’autre ce que celle-ci ne lui demande pas. La mésintelligence est déjà grave ; ce sont désormais deux « femmes, » si jeune que soit Solange, deux femmes qui, se voulant mutuellement autres qu’elles ne sont, ne pourront que se faire souffrir en développant des caractères rivaux.

Dans quelles circonstances Solange quitta-t-elle l’institution Bascans, nous l’ignorons. Un billet de 1844 nous apprend seulement que George Sand prit alors un M. Chaigne, qui partagea quelque temps avec M. Bascans les fonctions de précepteur de Solange. Durant l’été de 1844, Solange était rendue à la vie de famille. Elle n’avait pas seize ans.

Environ deux années se passent, durant lesquelles Solange, plus heureuse sans doute qu’elle ne croyait l’être, n’a pas d’histoire. En septembre 1846, elle a un malaise de langueur. Elle souffre alors des « pâles couleurs, » à la suite d’une imprudence bien gratuite de sa part, et sa mère, assez inquiète, la traite avec une extrême sollicitude. Solange paraît traverser une sorte de crise. Le mal de l’ennui rongerait-il l’Edmunda Sylvestris à Nohant, non moins qu’il la rongeait à la pension ? La belle amazone qui « passe sa vie à cheval, » espère-t-elle le prince Charmant, et trouve-t-elle qu’il la fait attendre ? Mais elle a failli attendre seulement. Fin septembre 1846, à peine est-elle pleinement remise, que l’amoureux de féerie a paru ; à moins que ce ne soit son apparition même qui l’ait subitement guérie. Il s’appelle Fernand de Préaulx, gentilhomme berrichon ; il a vingt-quatre ans ; il n’est pas riche « mais il est beau et bon ; que faut-il de plus[1] ? » Il fait sa demande, il est agréé. On l’a

  1. Lettre de George Sand à Poncy, du 21 septembre 1846 (inédite). La correspondance de George Sand avec Poncy, qui embrasse trente-quatre années, d’avril