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plus fréquentes possible… Je vous demande peut-être beaucoup, mais je suis sûre pourtant que vous m’aiderez à cultiver cette terre forte un peu fortement[1].


Solange, dans ces tête-à-tête où sa nonchalance recevait les plus rudes assauts, approfondissait certaines périodes de l’histoire, apprenait du latin, lisait l’Enéide en traduction, écoutait M. Bascans lire et commenter la Divine Comédie, voire s’entretenait avec lui du Christ en lisant les Évangiles :


Mon cher monsieur Bascans, nous voici dans la semaine sainte… Solange est bien plus sceptique que je ne le voudrais. Je crois donc que la vue de toutes ces cérémonies… est d’un mauvais effet sur elle. Je craindrais que cette vue ne détruisît à jamais en elle le germe d’enthousiasme que j’ai tâché d’y mettre pour la mission et la parole de Jésus, si singulièrement expliquées dans les églises. Je vous prie donc de la tenir à la maison pendant toutes ces dévotions… Cependant, s’il entrait dans vos vues, comme je vous l’avais demandé l’année dernière, de lui expliquer la philosophie du Christ, de l’attendrir à ce beau poème de la vie et de la mort de l’homme divin, de lui présenter l’Évangile comme la doctrine de l’égalité, enfin de commenter avec elle ces Évangiles si scandaleusement altérés dans la traduction catholique, et si admirablement réhabilités dans le Livre de l’humanité de Pierre Leroux, ce serait là pour elle la véritable instruction religieuse dont je désirerais qu’elle profitât durant la semaine sainte, et tous les jours de sa vie. Mais cette instruction ne peut lui venir que de vous, non des « comédiens sacrés, » sanctos sanniones, comme disaient les Hussites[2]


Prise ainsi par le cœur et par l’esprit, Solange, nature non pas profonde mais ardente et même enthousiaste, ne pouvait que s’attacher à de tels maîtres. Elle fit de Mme Bascans la marraine de sa petite Jeanne ; à la mort de M. Bascans elle écrivit à sa veuve, sur son mari, une très noble lettre[3], où elle fait un mea culpa rétrospectif. Tout cela est fort à son honneur.

Écoutons maintenant le dialogue de la mère et de la fille.


Solange à sa mère (1841).

Maman, je te demande pardon d’avoir été si entêtée lundi. Je t’assure que cela ne m’arrivera plus. Je m’en repens beaucoup parce que cela t’a fait de la peine. Je te promets de changer mon caractère indocile. Je vais m’appliquer à faire tous mes devoirs pour M. Bascans. J’ai eu ce matin à

  1. La fille de George Sand, p. 33-36, etc.
  2. La fille de George Sand, p. 51-52. Cette lettre, non datée, se place forcément entre les années 1842 et 1844.
  3. La fille de George Sand, p. 89-92.