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d’autre passion que celle de la progéniture. C’est une passion comme les autres, accompagnée d’orages, de bourrasques, de chagrins et de déceptions. Mais elle a sur toutes les autres l’avantage de durer toujours, et de ne se rebuter de rien. » (16 oct.) Ces « bourrasques, » ces « orages, » ne pouvaient point s’appliquer, dans sa pensée, à Maurice ; ils s’appliquaient évidemment, par prévision, à cette fille qui avait été elle-même bercée parmi les orages et les bourrasques de sa mère, et dont il était temps d’assurer l’éducation normale. Au reste, à la date de 1836, cette éducation, en dépit des traverses, a déjà commencé. Nous n’avons plus qu’à la suivre en feuilletant les lettres de la mère et de la fille.


III

Nous avons vu que George Sand désirait, en mars 1834, que son mari ne mît point Solange en pension. Elle-même l’y mit dès l’année suivante, probablement au printemps. Les premières maîtresses de Solange furent les demoiselles Martin, deux Anglaises qui dirigeaient une institution dans le quartier Beaujon[1]. Solange fut leur élève jusqu’au mois d’avril 1837. George Sand ne put guère voir sa fille, et pour cause, entre le printemps de 1835 et l’été de 1836. Elle ne la négligeait point pour cela, témoin cette lettre à Maurice :


George Sand à Maurice.


Paris, 10 septembre 1835.

… Tu me mandes que ta sœur est plus sage, mais qu’elle pleure pour un rien. C’est peut-être que tu lui fais trop sentir ton autorité. Je t’ai recommandé de la tenir un peu, mais non de la brutaliser et de lui faire de la peine. Tu sais qu’elle est très sensible aux paroles dures ; il faut la prendre par la douceur, et, quand tu ne peux en venir à bout, il faut appeler ton père, ou sa bonne. Elle leur cédera plus volontiers qu’à toi, parce qu’elle te regarde comme un enfant ; et, si tu voulais trop faire le maître, tu diminuerais peut-être l’amitié qu’elle a pour toi. Songe que tu as des devoirs très grands envers elle. Ce sont les premiers de ta vie, mais ils dureront toute ta vie. Tu lui dois ta protection et tes conseils, mais des conseils doux, tendres, et propres à la persuader. Ta plus grande affaire en ce monde est de te faire aimer d’elle. Elle est, tu le sais, d’un caractère un peu singulier, très bonne, très aimante, mais très fière et très peu disposée à

  1. Voyez Histoire de ma vie, IV, 309.