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voir les pots de fleurs (le balcon de Jenny l’ouvrière chez Lélia ! )[1] ; elle brise les plantes et les raccommode avec des pains à cacheter, bref, elle fait ces adorables sottises que toute maman se complaît à raconter.

Bientôt elle s’enhardit, et le fond de la nature reparaît : « Solange commence à s’accoutumer à Paris et à devenir méchante. Jusqu’à présent elle était si étonnée de tout ce qu’elle voyait, qu’elle ne pensait pas à avoir des caprices. À présent elle en a pas mal ; mais je ne lui cède pas, et elle redevient gentille (17 mai 1832, à Maurice). » Elle apprend à lire ; elle est avide de savoir. L’été les ramène à Nohant, suivant les clauses du traité, et l’hiver les voit dans le nouveau logis du quai Malaquais, petit mais bien clos, fourré de tapis (George Sand était très frileuse), facile à chauffer, et « excellent pour travailler. » Travail littéraire déjà nocturne ; l’habitude en était prise dès avant la naissance de Solange. Maintenant (fin 1832), Solange lit tous les jours, sort avec la bonne, demande à aller au pestacle (le spectacle préféré de la jeunesse et des artistes est alors Franconi ; une histoire complète du romantisme devrait avoir un chapitre sur ce cirque « littéraire ») ; entre temps, dit des impertinences, appelle un ami de sa mère « vieux bavard, vieille bête ; » au total, assez aimable, et fort divertissante. Sa mère est obsédée, le jour, de visiteurs qu’attire le succès inouï d’Indiana, de Valentine, et de la Marquise. « Le soir je m’enferme avec mes plumes et mon encre, Solange, mon piano et mon feu. Avec cela, je passe de très bonnes heures… Solange me donne plus de bonheur à elle seule que tout le reste. Elle a fait de grands progrès d’intelligence et de gentillesse depuis ces quatre mois. » (20 décembre 1832.)

En mars 1833, George Sand fait venir Maurice de Nohant, et le met au lycée Henri IV : il a près de dix ans. La mère a donc ses deux enfans sous la main. Littérature et maternité, c’est bien son programme. Cela complique un peu la rédaction de certains chapitres de Lélia ; car, si Maurice n’a que la grippe à Henri IV, Solange a la coqueluche au quai Malaquais, et la mère fait la navette. Mais enfin les maladies cèdent, l’été de Nohant rétablit les santés, et la production littéraire va toujours

  1. C’était un jardin en miniature. Une lettre inédite de mai 1832 signale douze pots de fleurs où croissaient roses, lilas, jasmins, giroflées, oranger, géranium, réséda, et même un cassis tout couvert de fruits verts.