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enfans[1]. » Cependant il le fallait. Le problème sera maintenant, pour elle, d’accorder la passion littéraire avec l’amour maternel, qui fut toujours chez elle, lui aussi, une véritable passion. L’axe de sa vie est désormais tracé suivant cette ligne. D’instinct et de volonté tout ensemble, elle le suivra, non sans faux pas momentanés, mais en reprenant vite son aplomb, par l’énergique manœuvre de ce double balancier.

Dès la première fugue, elle jette ce rappel à Maurice : « Solange parle-t-elle quelquefois de sa maman ? Empêche qu’elle ne m’oublie. » (25 janv. 1831.) En avril, elle rentre au foyer. « Je me porte tout à fait bien, écrit-elle à sa mère, depuis que j’ai revu mes enfans. Ce sont deux amours. Solange est devenue belle comme un ange. Il n’y a pas de rose assez fraîche pour vous donner une idée de sa fraîcheur. » Toutefois, le premier enchantement passé, sa perspicacité, aiguisée par l’absence, lui montre vite la différence de ces « deux amours. » À la même, 31 mai 1831 : « Ma fille est belle et mauvaise, Maurice est maigre et bon… Je gâte un peu ma grosse fille ; l’exemple de Maurice, qui est devenu si doux, me rassure pour l’avenir. » Même note, le 9 septembre : « Maurice est toujours maigre, sa sœur toujours énorme, Nohant toujours tranquille, La Châtre toujours bête. » Mais déjà la séparation lui paraît trop dure. Dès 1832 elle caresse l’idée d’emmener à Paris au moins l’un de ses enfans. Ce sera Solange. Car, à prendre Maurice, il faudrait emmener le précepteur, chose impossible. Au reste, elle a commencé elle-même l’instruction de sa fille ; elle continuera, tout en écrivant Indiana : « Solange est plus rose que jamais. J’espère vous la conduire ce printemps. Elle est assez raisonnable pour faire un tour à Paris avec moi ; vous verrez qu’elle est bien gentille et bien caressante ; mais vous serez effrayée de sa grosseur ; je voudrais bien la voir s’effiler un peu. » (À Mme Dupin, 22 fév. 1832.)

Six semaines après, Solange est à Paris avec sa mère, quai Saint-Michel. Elle a trois ans et demi. D’abord désorientée, elle demande son compagnon de jeux, Maurice ; elle pleure quand elle voit son portrait, se console devant la girafe du Jardin des Plantes, rit, babille. Le matin, elle grimpe dans le lit où George Sand s’attarde après une nuit d’écriture. Puis elle court au balcon,

  1. À Boucoiran, 13 janv. 1831. Corr., 1, 145.