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de Dœllinger avec l’Église. Mais cette rupture était presque consommée à ses yeux dans les derniers temps de sa vie, et il en avait conçu une peine profonde. L’ayant pressé de consacrer à la défense de l’Église ses dernières forces, et de se rendre au Concile du Vatican, il reçut cette réponse d’une ironie trop significative « que l’on n’avait que faire de lui à Rome, qu’il y serait regardé de haut en bas, qu’on se moquerait d’un insecte théologique comme lui. » Il ajoutait « que l’archevêque de Munich ne lui avait pas demandé, pendant quinze ans, son opinion sur une seule question ; qu’il pourrait, il est vrai, occuper ses loisirs, à Rome, à l’étude des antiquités, mais qu’il était trop vieux pour cela. »

On sait le triste spectacle donné peu de temps après par cet homme qui avait été si grand ; ses inconséquences, sa pusillanimité, sa faiblesse, tantôt prêtant son autorité aux vieux-catholiques, tantôt se séparant d’eux et les désavouant presque ; tantôt accablant le gouvernement de l’Église de ses sarcasmes et de ses contradictions, tantôt déclarant qu’il ne voulait pas être membre d’une société schismatique et qu’il se considérait toujours comme un membre de l’Église catholique ; ayant redouté toujours pour lui l’isolement, et finissant sa vie par ce dernier mot : « Je suis un isolé. »

C’est au milieu des souffrances de sa maladie que Montalembert avait suivi le travail intime qui détournait peu à peu Dœllinger de son ancienne foi, et dont le dénouement ne devait se produire que plus tard. La défection soudaine, éclatante du Père Hyacinthe, dans lequel il s’était complu à voir un autre Lacordaire, le frappa au contraire tout d’un coup. Une lettre adressée au journal le Temps lui en apporta la nouvelle. Quelques années auparavant, il avait eu occasion d’entendre ce moine, si rapidement arrivé à la célébrité. Son éloquence l’avait profondément impressionné. Il avait retrouvé en lui ce qu’il aimait : la flamme, les hautes aspirations, l’amour de la liberté, l’indignation généreuse, la pitié pour les opprimés et les souffrans. Une vive amitié les avait liés. Ceux qui ont suivi le Père Hyacinthe au temps où il se révélait comme orateur comprendront cet enthousiasme. Pour moi, il m’apparaît encore dans la chaire de Notre-Dame, et je crois éprouver le saisissement que causaient ses magnifiques envolées vers les sommets lumineux de la pensée. On ressentait bien quelque vertige, mais quelle joie d’âme !