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désormais de bons rudimens et une bonne méthode d’histoire ecclésiastique : Doellinger fut, dans toute la force du terme, un créateur ; et c’est avec cette auréole qu’aux alentours de 1848, il deviendra le consulteur et le tribun de l’Église d’Allemagne.


VIII

Munich, qui devenait, grâce à Doellinger, un centre de sciences ecclésiastiques, était grâce à Goerres un véritable foyer d’où la vie catholique rayonnait sur l’Allemagne : la Table Ronde (ainsi l’on appelait le cercle de Goerres) avait la vertu d’une institution ; littérateurs, artistes, juristes, théologiens, romantiques de la veille et parlementaires du lendemain, s’y coudoyèrent et s’y mêlèrent, pendant plus de vingt ans.

Après le coup d’œil d’admiration respectueuse donné au maître du logis, les regards s’y portaient, tout de suite, vers un étrange original, qui tantôt causait pour lui tout seul comme s’il détaillait un rêve, et tantôt s’absorbait comme s’il en élaborait un nouveau. C’était Clément Brentano, et par sa seule présence, il évoquait le souvenir des jours d’Heidelberg, de ces années 1806 et 1807 où, sous les auspices de Goerres, l’Allemagne à demi morte avait ressuscité sa vieille littérature. Brentano était né romantique ; l’ironie, chez lui, n’était ni un prétexte à sensations, ni le déguisement d’une impuissance artistique, mais l’essence et le tourment de son être ; elle était dans son âme avant d’être dans son art. L’impression de charme qu’il laissait se nuançait d’une certaine peur : « Il pourrait me rendre fou, disait le jeune Ketteler, si je causais beaucoup avec lui ; » et Emilie Linder, l’artiste bâloise fixée à Munich, ne fit son entrée dans l’Église qu’après la mort de Brentano, comme si elle eût craint de ne point assez se posséder elle-même si, déférant à ses instances, elle se fût convertie, lui vivant. A la minute même où Brentano exerçait une action, il provoquait une réaction ; du même geste dont il conquérait un interlocuteur, il le mettait en recul. D’autre part, son indolente ironie lui rendait odieux de se voir imprimé. Aussi semblait-il prédestiné à n’être qu’un délicieux inutile ; il le sentait et en souffrait.

Fatigué de ses libertinages, « né pour la lumière mais mille fois mort, » il invoquait en 1816 « une goutte de sang du Christ, » lorsque survint à lui l’ « ange du désert, » sous les