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« sensation : » c’est le propre mot de Doellinger, qui, dans une lettre à Gino Capponi, en prolongeait le retentissement jusqu’à Florence. Henri Heine s’essayait à sourire de cette gigantesque activité : « C’est la tour de Babel, » s’exclamait-il. Mais le philosophe Schelling avait un mot plus exact lorsqu’il disait non sans ébahissement : « Partout M. Goerres est chez lui. »


VII

Dans les « antres du jésuitisme, » dans « l’officine de tout mal (c’est ainsi qu’Henri Heine qualifiait Munich), » Schelling, lui, professait la philosophie. « Il a fait beaucoup de rétractations, » écrivait Brentano. « Il a trahi la philosophie et l’a livrée à la religion, » confirmait Henri Heine. Le bruit courut même, en 1828, qu’il s’était fait catholique. Ce qui était vrai, c’est que la situation du christianisme, dans l’évolution religieuse de l’humanité, devenait, pour lui, l’un des problèmes essentiels : son enseignement de Munich en cherchait la solution Il la crut trouver en deux versets de l’Épître aux Philippiens, et, sur eux, bâtit une « christologie, » dont l’aspiration fondamentale était de montrer dans le paganisme, non seulement la base historique, mais l’étoffe même du christianisme. Le Christ de Schelling préexistait à l’ère chrétienne, comme divinité du paganisme : il jouissait déjà des honneurs divins, mais c’était malgré le Père ; durant cette période païenne de son existence, il ne croyait pas, dit saint Paul, « que ce fût une usurpation de s’égaler à Dieu ; » en quoi il se trompait et trompait les hommes. Une révolution se fit en lui : dans la crèche et sur le Calvaire, « il s’anéantit, prit la forme d’esclave ; » il déchut volontairement ; alors les païens reconnurent qu’en lui ils n’avaient pas adoré le vrai Dieu. Mais le Père, lui, sut gré au Christ de cette résipiscence humiliée ; et pour le récompenser il l’autorisa derechef à être une divinité : c’est de l’aveu du Père que désormais Jésus fut Dieu. Ainsi la période mythologique et la période de la révélation sont les deux actes d’un même drame, dont Jésus est le héros.

Une lettre qu’écrivait à Doellinger l’étudiant Bernard Fuchs, plus tard professeur de théologie morale, nous offre une image curieuse de l’enthousiasme qu’excitait cette synthèse parmi certains jeunes théologiens. « Comme grandeur, disait Fuchs, comme