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Catholique, Louis Ier l’était. La disparition de la surdité dont jadis il était affligé avait coïncidé avec la visite du prêtre Alexandre de Hohenlohe, thaumaturge étrange, que toute l’Allemagne du Sud réputait pour ses guérisons ; et Louis de Bavière aimait à se dire que la clarté de son ouïe lui était un bienfait de Dieu. Mais quelque joie qu’il éprouvât à se considérer comme l’objet d’un miracle, une autre impression, plus profonde, plus intense, avait contribué, dès sa jeunesse, à préparer et à pénétrer son âme : il était comme le fils spirituel du prêtre Sailer ; il avait subi, longuement, l’étrange et précieux ascendant qu’exerçait ce grand lecteur de consciences ; et l’on peut dire qu’avec lui le culte pour Sailer s’installait sur le trône même de Bavière.

Sans Clément XIV, Jean-Michel Sailer eût été jésuite : la suppression de la Société rendit ce novice au ministère pastoral et au professorat. Il connut maintes difficultés : sa théologie manquait de rigueur ; et puis, en présence de la médiocrité de la hiérarchie et de l’anémie du clergé, il encourageait de quelque complaisance les écarts des mystiques wurtembergeois, et même leurs théories, fortement imprégnées de « hussitisme. » De là certaines suspicions dont à Rome Sailer fut l’objet, et qui lui valurent d’attendre longtemps la mitre ; mais son influence sur le peuple chrétien, qu’il évangélisait à l’occasion six et huit fois par jour, demeura puissante. Moraliste tolérant, sauf pour lui-même, et philanthrope sensible, sauf à ses propres fatigues, il y avait en Sailer quelque chose de Fénelon, d’un Fénelon qui, au lieu d’être le précurseur du XVIIIe siècle, en eût été l’héritier ; ses illusions et ses défauts mêmes, sorte de patine que son époque avait mise sur son âme, ne pouvaient, dans le monde d’alors, qu’aider à son apostolat. Ses dévots furent innombrables, et plusieurs illustres. Un jeune soldat, Diepenbrock, songeait au suicide, lorsque Sailer le conquit à la prêtrise ; et, devenu cardinal, il appelait Sailer, dont il avait été le secrétaire, « un homme vraiment grand, et plus grand encore dans l’intimité. » Le bon chanoine Schmid, un autre familier de Sailer, pensait comme Diepenbrock, et c’est sur les instances du vieux prêtre qu’il composa ses célèbres contes pour les enfans. L’hommage qu’on rendait à la sainteté de Sailer se terminait par un acte de foi en ses dons d’inspiration : c’était une foi dans laquelle protestans et catholiques communiaient. Certains de ses livres ascétiques,