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croix arrachée du fronton des églises de Paris, traînée dans les rues et précipitée dans la Seine aux applaudissemens d’une foule égarée. Cette croix profanée, je la ramassai dans mon cœur et je jurai de la défendre et de la servir. »

Montalembert a été fidèle à ce serment jusqu’à son dernier soupir. Au prix de quelles épreuves, de quels efforts, de quels sacrifices, l’histoire de sa vie nous l’apprend. Il a fallu, certes, que sa foi fût ancrée, comme il le dit, pour avoir résisté à tous les assauts qui lui furent livrés. Quelle existence a connu de pareilles extrémités ? La gloire d’abord. Issu d’une famille illustre, il est pair de France à vingt ans ; et le retentissant procès de l’Ecole libre, jugé par la haute Assemblée, porte partout son nom : le discours qu’il prononce le classe d’emblée parmi les orateurs. Ami et collaborateur de Lamennais, rédacteur de l’Avenir, il participe à la renommée de son maître. Elu député, après la chute de la monarchie de Juillet, il organise et dirige la campagne qui aboutit à la conquête de la liberté d’enseignement. Il est le chef reconnu des catholiques de France ; la papauté, les évêques l’acclament. Ses voyages dans son pays et à l’étranger sont une suite d’ovations. Puis, tout à coup, à l’avènement de l’Empire, combattu par le pouvoir, devenu suspect par son amour de la liberté, il est abandonné par ses électeurs. La tribune lui faisant défaut, il se voit condamné au silence. La méfiance est semée dans le clergé contre lui ; les évêques, Rome même, semblent se détourner ; il connaît l’isolement. La maladie, enfin, le met aux prises avec les épreuves les plus cruelles. Il meurt tandis que les pires orages s’amoncellent sur sa patrie…

Ainsi peut être résumée, en quelques traits, cette vie où l’on est tenté de croire que les déceptions, les revers, les maux l’emportèrent définitivement ; mais où ils ne furent, au contraire, si multipliés et si accablans, que pour faire éclater davantage une grandeur morale supérieure à toutes les fortunes.


II

L’occasion d’affirmer publiquement ses croyances devait s’offrir promptement à Montalembert. Elles occupaient si fortement son esprit qu’elles se manifestent avec la première révélation de sa personnalité. Par une singularité frappante, il se