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opinions humaines, mais fais-le reposer sur Dieu, citadelle de tout ce qui est solide. Sois un prince chrétien, colonne pour la foi, protecteur de la liberté de l’esprit, afin que la Bavière redevienne ce qu’elle fut : un bouclier, une pierre fondamentale de l’Église. » Goerres, « le persécuté des rois de l’Europe, » prévoyait-il que le souverain qu’il faisait interpeller du fond d’une tombe allait devenir son protecteur ?

« Avec sa majesté royale, disait Goethe à Eckermann, Louis Ier a sauvé le beau naturel d’homme qu’il avait reçu en naissant ; c’est un phénomène rare. » A distance, et lorsqu’on oublie qu’en une heure de caprice il sacrifia sa politique aux susceptibilités d’une ballerine, on est séduit par cette riche et fougueuse nature, dont la spontanéité ne se laissa pas entamer par l’étiquette, et qui comprenait qu’en nous abandonnant à nos enthousiasmes, nous plaçons à gros intérêts les richesses de notre âme. Fils d’un père qui avait aimé la France, Louis Ier, lui, était un Allemand passionné : le Panthéon germanique qu’il édifia sous le nom de Walhalla était pour lui un sanctuaire ; et ses regards de patriote germain, agressivement tournés contre la France, s’arrêtaient avidement sur l’Alsace. C’était par surcroît un romantique : sa jeunesse, éprise d’art grec, s’était laissé convertir par son médecin Ringseis aux prestiges de l’art chrétien ; lorsque ses voyages à Rome l’eurent rapproché des Nazaréens, il leur consacrait un poème dans lequel Cornélius était comparé à saint Pierre, Overbeck à saint Jean ; et, mettant en vers son rêve d’un « règne de beauté qui s’étendrait sur l’Allemagne, » il les appelait tous deux « ses hommes d’État. » Pour l’art comme pour la patrie, Goerres et Louis Ier vibraient à l’unisson. Quant à la politique, il ne semblait pas qu’elle les dût diviser. Ringseis, après le congrès de Carlsbad, remontrait au prince Louis que l’État des Wittelsbach gagnerait la gratitude de l’Allemagne et supplanterait en prestige l’Autriche et la Prusse, si la dynastie expliquait avec force que jamais elle ne dérogerait à la constitution. Sans vouloir s’aventurer dans une sorte de donquichottisme constitutionnel, le roi Maximilien fit du moins la sourde oreille aux ordres de la Sainte-Alliance, et c’est au prince Louis que les esprits en surent gré. La reconnaissance de Goerres lui était acquise ; et puisque cette âme princière était à tant d’égards jumelle de la sienne, Goerres, de son exil, criait au roi nouveau d’être un roi catholique.