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lumières pour lumières. Les romantiques avaient réintégré le catholicisme dans l’art ; Goerres le réintégrait dans la science, supprimait les cloisons étanches entre la révélation et le savoir humain, et rendait à ses coreligionnaires leur fierté. Pour la première fois depuis la Réforme, pareille tentative s’essayait en Allemagne.

Goerres s’y consacra : il adressait à Raess de longues lettres techniques sur l’agencement de la publication, sur la façon d’y faire collaborer les jeunes gens, sur l’appareil bibliographique ; il envoyait articles sur articles, histoire, polémique, synthèses doctrinales, analyses de livres ; et comme il ne se pouvait résoudre à écrire superficiellement, son labeur eût écrasé tout autre que lui. Ses amis l’essoufflaient : c’était à qui lui suggérerait une étude, lui proposerait un travail Brentano, surtout, le persécutait, réclamant de lui, tour à tour, un tableau de l’Eglise, une apologétique où serait approfondi l’enseignement secret de tous les peuples, une psychologie des âmes contemporaines une autobiographie dans le genre des Confessions. « Puisque dès ta jeunesse tu as été un organe public, lui écrivait-il, puisque tu es, par la grâce de Dieu, revenu à la porte de l’Eglise, je désire que tu décrives le voyage de ton âme, d’une façon aussi émue, aussi enthousiaste, qu’Augustin. Une histoire des troubles de la science et de la foi, chez tes contemporains et chez toi-même, histoire humble et vraie, serait très bienfaisante pour toi, pour nous tous, pour notre siècle. » Le romantique impénitent qu’était Brentano eût aimé que Goerres étalât son moi. Mais Goerres était devenu publiciste religieux avant même que le monde n’eût appris qu’il était définitivement converti ; on ne saisit pas, dans ses lettres, la trace de crises de conscience ; la poussée des circonstances, son propre besoin de s’extérioriser, le rejetaient hors de lui-même et ne lui laissaient point le loisir d’être spectateur du travail intime qui tour à tour l’avait mené de l’Eglise vers la Révolution et ramené de la Révolution vers l’Église. Il n’avait ni le temps ni le goût de revivre son passé et de thésauriser les miettes de ses existences antérieures ; il préférait ramasser toutes ses énergies peur l’action nouvelle.

On lut dans toute l’Allemagne, en 1825, une prosopopée du prince électeur Maximilien Ier au nouveau roi Louis de Bavière, publiée par le Catholique, et signée de Goerres. Maximilien ressuscité disait au jeune souverain : « Ce que tu peux édifier, ne le bâtis point sur les eaux courantes et le sable fugitif des