Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/62

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’a remué jusqu’au fond de son être. Aussi, revenant d’Irlande, il écrivait : « Je ne suis plus le même homme… ma foi et mon fervent attachement au catholicisme ne se ressemblent plus. J’ai puisé ici, ajoutait-il, dix ans de force et de vie. »

Sous l’empire de ces impressions, un grand travail intérieur commençait à s’accomplir ; les idées mûrissaient au contact des plus hautes intelligences, à la suite de nombreux voyages, d’observations attentives, d’une lecture immense, où étaient abordés avec une égale passion, avec une recherche ardente de la vérité, les plus hauts problèmes de l’histoire, de la philosophie, de la religion, et où la méditation des Écritures tenait la plus grande place. Un heureux concours d’influences vint compléter l’effet de ces études, et décider alors de l’avenir de Montalembert : de nobles amitiés, des conseils pleins de bon sens, la pratique intelligente de la charité au milieu de la généreuse jeunesse que commençait à enrôler Ozanam.

Mais si chacune de ces influences a sa part dans des progrès qu’on peut suivre presque jour par jour, tant les documens abondent, elles laissent entièrement subsister l’initiative et la responsabilité, et c’est précisément ce qui caractérise cette évolution. Elle nous fait assister au spectacle frappant d’une formation toute personnelle, et met en lumière la différence qui existe dans une éducation entre le développement organique et le développement mécanique. Ici, rien de convenu, d’artificiel, pas de moule appliqué du dehors ; l’être tout entier se porte vers le vrai avec autant de spontanéité que de force, avec une simplicité et une droiture absolues. Echappant, par cela même, à une des plus fâcheuses tendances de son temps, Montalembert ne se dédouble pas ; il ne se regarde pas penser et vivre. Il n’est pas, et voilà le secret de son unité morale, au nombre de ces analystes à outrance, qui abusent de l’esprit critique. S’il a connu quelques instans, très rares et bien explicables, de découragement, on chercherait en vain, à un moment quelconque de son existence, cette mortelle fatigue de vivre, qui est un des traits caractéristiques du doute et du dilettantisme contemporains. Lui-même nous a renseignés sur l’heure décisive où ces idées, ces croyances se fixèrent définitivement et prirent en lui un empire irrésistible. « Si l’on me demandait, a-t-il dit plus tard devant la Chambre des pairs, à quelle occasion se sont ancrées dans mon âme ces convictions, je dirais que ce fut en ce jour où, il y a quatorze ans, je vis la