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fait, disparue : on fêtait Noël, mais nul Sauveur n’était né ; on fêtait la Pentecôte, mais le Saint-Esprit restait absent. De la chaire descendaient encore des paroles, mais ce n’étaient pas des paroles de vie. Le prêtre était devenu un apôtre de connaissances utiles ; les textes traitaient, même, de la culture des pommes de terre, des arbres, des prairies, de l’alcool de vin. Les gens, au sortir de l’Église, étaient remplis d’histoires qui mettaient en garde contre l’ivrognerie, qui enseignaient comment des hommes apparemment morts avaient été rendus à la vie, qui racontaient comment ce qu’on avait pris pour des fantômes n’étaient que des langes étalés au clair de lune, fraîchement lavés, et oubliés par une bonne ; mais ils étaient vides de ce dont ils avaient besoin pour la vie vertueuse et chrétienne, vides de ce qui mène au ciel. Les prêtres portaient sur eux la plus grande responsabilité de l’incroyance et du malaise de l’époque, parce qu’ils éteignaient la vraie lumière et que le sel de la terre, consciemment, volontairement, était devenu fade.


Ainsi le mot terrible de l’Écriture : « Si le sel perd sa vertu, avec quoi salera-t-on ? » se dressait devant l’Allemagne, avec l’âpreté d’un reproche et l’urgence d’une menace. La théologie, anémique et frileuse, ne pouvait attendre son salut de la Prusse, où l’hermésianisme régnait. Mais au grand séminaire de Mayence et dans les facultés de Tubingue et Munich, elle se fortifiait et commençait de se réchauffer ; et, pour faire le tour de la pensée catholique allemande à l’époque de la Restauration et de la monarchie de Juillet, il importe surtout de s’arrêter en ces trois villes, dont la dernière, avec Goerres pour hôte et Louis Ier pour souverain, devint la capitale intellectuelle et politique de l’Allemagne catholique.


I

Dès le premier Empire, l’éphémère chef-lieu du département français du Mont-Tonnerre s’ouvrit comme une oasis à la pure théologie romaine. La France avait créé cette oasis, la France la fécondait. Au moment même où nos prêtres émigrés ramenaient dans la soupçonneuse Angleterre de nouveaux germes de « papisme, » que le XIXe siècle allait mûrir, un prêtre français « non-jureur, » Colmar, était installé par Napoléon sur le siège de Mayence, un autre « non-jureur, » Liebermann, était mis à la tête du grand séminaire ; et parmi l’anarchie intellectuelle et morale dont gémissaient en Allemagne les meilleurs des prêtres, et dont les moins bons profitaient, ces deux Alsaciens fondèrent un centre d’enseignement théologique et de vie sacerdotale.