Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 25.djvu/604

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’idées et cette justesse de sens qui en sont inséparables. » Julie écrit presque dans les mêmes termes : « Ce que c’est que l’amour ! Quelles vertus il inspire, quand l’objet qui la fait naître en est digne ! Je sens que mon Alphonse pourrait m’élever jusqu’au sublime… » Et : « L’amour que je sens pour vous est d’une nature si relevée ! il est si ardent ! il est si pur ! il me rendrait capable de tant de vertus, qu’il me relève à mes propres yeux… » Cette conception de l’amour va produire, dans l’ordre de la vie sentimentale un complet changement en littérature, et en morale une révolution. Il n’est sans doute pas indifférent d’en trouver l’expression sous la plume d’Elvire, et pour qualifier l’amour qui l’unit à Lamartine.

Ajoutez enfin cette tristesse qui procède non d’une cause particulière, ni même d’un sentiment de souffrance personnelle, mais de la conscience des conditions mêmes de la destinée humaine et de l’incompatibilité qu’il y a entre la nature du bonheur et notre nature. C’est cette sorte de sensibilité triste qui revient le plus fréquemment dans les confidences d’Elvire. On relève dans les lettres à M. Mounier des phrases comme celles-ci : « Je vous assure que j’ai souvent de la vie plus que je n’en puis porter… Enfin, passons sur ces amertumes. La vie en est pleine, et on a beau la repousser de toutes ses forces, elle est longue, bien longue. » À ces plaintes font écho celles que nous trouvons dans les lettres à Lamartine : « Qu’il est donc difficile à porter, le bonheur ! Pauvre nature humaine, tu es trop faible pour lui… Le bonheur n’est pas fait pour moi… Mon âme est faite pour la douleur… » Ces phrases viennent se placer naturellement sous la plume d’Elvire. Elles nous donnent comme la nuance de cette âme déjà tout enveloppée de la mélancolie du nouveau siècle.

Cette femme pensive et triste, d’une culture si raffinée, d’une sensibilité si vive et si délicate, inclinée vers le sentiment religieux et respectueuse de l’amour, comment croire qu’elle n’ait pas influé profondément sur Lamartine ? Notons qu’elle était plus âgée que lui de huit années. C’était une femme qui avait vu le monde, tandis que lui n’était encore qu’un écolier de la veille. Il est douteux qu’il l’ait convertie, mais il est certain qu’elle a renouvelé son cœur. Il a compris auprès d’elle combien les sentimens à l’expression desquels il s’était complu jusque-là, étaient de caractère superficiel et de qualité médiocre. Vienne