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dernière édition de ses œuvres. « C’étaient des vers d’amour adressés au souvenir d’une jeune fille napolitaine dont j’ai raconté la mort dans les Confidences. Elle s’appelait Graziella. Ces vers faisaient partie d’un recueil en deux volumes de poésies de ma première jeunesse que je brûlai en 1820. Mes amis avaient conservé quelques-unes de ces pièces : ils me rendirent celle-ci quand j’imprimai les Méditations. J’en détachai ces vers et j’écrivis le nom d’Elvire à la place du nom de Graziella. » Cet aveu est d’autant plus curieux qu’il contient une erreur involontaire. Lamartine se trompe, comme nous serions nous-mêmes tentés de le faire. A lui aussi il semble, maintenant, que le nom d’Elvire n’ait jamais pu désigner que la seule Julie : ce nom et ce souvenir sont devenus inséparables. Mais il n’en avait pas toujours été ainsi. Lamartine n’a pas eu à rayer de cette pièce le nom de Graziella, qui n’y a jamais figuré. Elle était adressée à Graziella sous le nom d’Elvire, comme l’Hymne au soleil, comme d’autres qui l’accompagnaient et qui sont justement celles que lisait Julie dans la nuit du 1er janvier 1817. Elles faisaient partie d’un recueil de vers où il y avait une Elvire à côté d’une Emma, sans que l’amour de Julie, trop récent et qui n’avait pas encore souffert, y eût pu mettre déjà la note de la vraie poésie.

Elvire lut ces vers adressés à une Elvire qui n’était pas elle. Lamartine n’avait pas prévu qu’ils la feraient souffrir. Dans sa liaison avec la petite cigarière de Naples, il n’avait mis que le premier élan de la jeunesse et son goût du plaisir ; dans les vers qu’il consacrait à son souvenir, il ne mettait que son esprit. Mais voilà des choses qu’une femme a bien de la peine à admettre ! Elle ne comprend guère qu’on puisse aimer, sans que ce soit entièrement et une fois pour toutes. Et dans un ouvrage de littérature, roman, tragédie, ou poème, elle ne sait pas faire la distinction entre ce qui est de l’auteur et ce qui est de l’homme. Aussi se représente-t-on sans peine le travail qui se fait dans l’esprit de Julie. Elle envie cette Graziella qui s’est trouvée sur le chemin du poète, la première, quand il n’était pas encore trop tard. Par un effet de jalousie rétrospective elle veut la connaître, recueillir sur elle des détails, en entendre parler. Elle interroge Virieu. Celui-ci, fidèle interprète des sentimens de son ami, s’exprime sur le compte de Graziella avec une sécheresse que Julie trouve révoltante. Elle se souvient alors uniquement qu’elle est femme, pour plaindre une femme victime de l’égoïsme