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IV

En revenant d’Aix à Paris, Julie était vraiment rentrée du monde du roman dans celui de la réalité. Elle avait repris pied dans son milieu d’habitude. Elle avait retrouvé son intérieur, son salon, son mari, ses amis, enfin l’opinion dont elle était fort soucieuse. Désormais, et si même son amant lui était rendu, ce serait fini entre eux de cet amour qui ne connaît que soi. Aussi profond, aussi violent, cet amour devait subir la contrainte de toute sorte de scrupules et de convenances. « Chère vallée d’Aix, ce n’était pas ainsi que vous nous rassembliez : vous n’étiez pas pour nous avare des joies du ciel ! » Tous deux l’avaient compris, et ils s’étaient accordés pour changer leur amour en une amitié permise : tendresse de mère, affection de fils. Mais chacun d’eux, en le promettant, le déplorait et regrettait que l’autre y consentît. Ces changemens se font d’eux-mêmes dans la lassitude des fins d’amour ; les deux amans étaient dans toute l’ardeur de la passion ! Aussi étaient-ils troublés, disposés au soupçon, prêts à l’amertume des reproches. Ils feignaient de croire à un commencement d’abandon ; ils y croyaient peut-être. Et c’est ainsi qu’ils se torturaient.

Dès la première lettre éclate la fausseté de la situation où ils se sont mis volontairement, et on voit se dessiner le tourment où devait les jeter l’opposition entre leurs résolutions et leurs désirs. Le commencement de la lettre est pour rappeler l’espèce de pacte qui a été conclu ; la fin est pour souhaiter d’entendre ces mots dont Julie ne saurait se passer et de recevoir à nouveau l’assurance qu’elle n’a pas cessé d’être aimée. La seconde lettre est beaucoup plus significative encore : Julie a lu les vers consacrés par Lamartine à la mémoire d’Elvire ; de cette lecture elle est restée mal à l’aise, dépitée et inquiète. Et c’est bien ici le plus piquant de l’affaire : Elvire est jalouse d’Elvire !

C’est que le nom d’Elvire n’a pas été inventé pour celle à qui il devait un jour appartenir uniquement. Il avait été d’abord le nom poétique sous lequel Lamartine avait célébré en l’idéalisant le souvenir de la petite ouvrière morte pour lui. La pièce des Méditations intitulée précisément A Elvire n’est autre qu’un de ces morceaux inspirés par Graziella. Lamartine nous en avertit dans le « commentaire » dont il a fait suivre cette pièce dans la