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saisie déjà par la mort, mais que l’amour affermissait encore. Je les ai relues et je les ai brûlées en pleurant, en m’enfermant comme pour un crime, en disputant vingt fois à la flamme la page à demi consumée pour la relire encore… Pourquoi ? me dis-tu… Je les ai brûlées parce que la cendre même en eût été trop chaude pour la terre, et je l’ai jetée aux vents du ciel. »

Faut-il entendre par là que la correspondance d’Elvire ait jamais formé, comme on l’a dit, un volume « relié ? » Je ne le pense pas. Des quatre lettres confiées au carnet de « souvenir » que nous avons pu manier, les trois premières, « de fine écriture anglaise, » sont écrites sur feuillet double de papier aujourd’hui jauni, mais dont la tranche est encore légèrement dorée : au dos du feuillet se voit une longue déchirure. On pourrait imaginer d’après cela qu’il a été détaché d’une reliure où il était retenu par le fil du brocheur. Mais c’était un usage alors, et notamment celui de Lamartine, d’employer, pour la correspondance, des feuillets qu’on détachait d’un album. La quatrième lettre n’accuse pas cette trace de déchirure ; mais une pièce qui y est collée donne cette indication : « Sixième époque, dernière lettre. » C’est donc la preuve que ces lettres avaient bien été « classées. » Cette dernière lettre a été écrite pendant une accalmie du mal qui allait emporter la jeune femme exactement cinq semaines plus tard ; les caractères en sont, non plus élégans et déliés, mais brouillés et alourdis ; c’est, tracé à la dérobée, malgré la défense du médecin, « le dernier mot écrit d’une main saisie déjà par la mort. »

Pourquoi ces lettres sont-elles été épargnées plutôt que d’autres ? Après les avoir lues, on ne croira pas que ce soit un effet du hasard. Pour Lamartine, chacune d’elles représentait une date. Pour nous, elle n’ont pas seulement un intérêt de curiosité, celui de nous montrer Julie dans son cadre exact, étendue sur le canapé où elle reposait sa langueur, accoudée à la petite table où elle se faisait, parmi les causeries des indifférens, un coin de solitude et de rêverie ; elles ont une signification littéraire et morale. En nous aidant à démêler le vrai du faux dans les confidences arrangées de Raphaël, elles nous apportent la révélation que nous en attendions. Postérieures au séjour d’Aix, — un temps où les deux amans ne s’écrivaient pas, — elles ne laissent pourtant pas de nous renseigner sur lui. Elles éclairent toute l’histoire des relations d’Elvire et de Lamartine.