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vient d’apparaître dans une déchirure du grand nuage en voûte fermée ; alors les mille tiges des bambous ont l’air d’avoir été soudainement peintes à l’or rouge. Elle se sauve, la mousmé, qui aujourd’hui ne pourra même pas, comme les soirs habituels, risquer les yeux par-dessus l’enclos pour surveiller ma fuite au milieu des tombes. Et, en escaladant le mur, j’arrache cette fois une poignée de capillaires, que j’emporte.

Il y a maintenant un reflet d’incendie sur la montagne des morts, que le soleil illumine en plein ; la nécropole où j’aimais tant venir se met en frais pour mon dernier soir.

Je m’en allais avec lenteur, dans les petits sentiers encombrés de fougères, et, m’étant retourné par hasard, voici que j’aperçois, là-bas au-dessus du mur, les cheveux noirs, le gentil front et les deux yeux qui avaient coutume de me regarder descendre. Elle est donc revenue sur ses pas, la mousmé !… Et le sentiment qui l’a ramenée là me touche infiniment plus que tout ce qu’elle aurait pu me dire. J’ai envie de remonter. Mais elle me fait signe : non, trop tard, et il y a un danger, adieu !…

Pourtant, je l’oublierai dans quelques jours, c’est certain. Quant à ces capillaires que j’ai prises, par quelque rappel instinctif de mes manières d’autrefois, il m’arrivera bientôt de ne plus trop savoir d’où elles viennent, et alors je les jetterai — comme tant d’autres pauvres fleurs, cueillies de même, dans différens coins du monde, jadis, à des heures de départ, avec l’illusion de jeunesse que j’y tiendrais jusqu’à la fin…


Lundi, 28 octobre. — Encore les nuages bas et sombres, avec un de ces premiers brouillards qui annoncent l’hiver.

Pour moi, l’âme de ce pays s’en est un peu allée hier au soir avec la mousmé Inamoto, je le sens bien.

J’ai préféré ne pas retourner seul dans son vieux parc, ni dans la nécropole alentour, et ma promenade d’aujourd’hui, sans but, sur une montagne à peu près déserte que je ne connaissais point, m’a fait rencontrer par hasard le sentier des cadavres… Ils passaient devant moi, tandis que j’étais assis tout au bord du chemin, sous la vérandah d’une maison de thé isolée, misérable et de mauvais aspect, où l’on avait paru très surpris de me voir. Ils passaient chacun dans une espèce de grande cuve enveloppée d’un drap blanc et attachée à un bâton que deux portefaix à mine spéciale tenaient sur l’épaule. Sans