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mer, elle est bordée par une file de petits édicules religieux, en granit, qui se succèdent comme les balustres d’une rampe, — toujours ces mêmes petits édicules au toit cornu, d’une forme inchangeable depuis les plus vieux temps, et qui, d’un bout à l’autre du Japon, annoncent l’approche des temples ou des nécropoles, éveillent pour les initiés le sentiment de l’inconnu ou de la mort. Du côté de la montagne, on est dominé par les ramures qui se penchent, les fougères qui retombent ; des arbres dont on ne sait plus l’âge étendent des branches trop longues et fatiguées, que l’on a pieusement soutenues avec des béquilles de bois ou de pierre ; des cycas, qui seraient hauts comme des dattiers d’Afrique, mais qui s’inclinent, se courbent de vieillesse, ont des supports en bambou, des suspentes en cordes tressées, pour prolonger le plus possible leurs existences indéfinies. Et de vagues sentiers montent verticalement à travers ce royaume des plantes, vont se perdre dans les obscurités d’en haut, parmi les futaies trop épaisses, parmi les pluies, les orages toujours suspendus ; — sentiers, ou peut-être simples foulées de ces bêtes de la forêt, qui sont innocentes, ici, et auxquelles personne ne fait de mal.

De temples, à proprement parler il n’y en a point ; c’est l’île qui est le temple, et, comme je disais, c’est la baie qui est le tabernacle. Pour la fermer aux profanes, cette baie de la grande sérénité ombreuse, des portiques religieux à plusieurs arceaux en gardent l’entrée, s’avancent comme d’imposantes et muettes sentinelles, assez loin dans la mer ; ils sont très élevés, très purs de style ancien, avec des parties qui commencent à crouler par vétusté, surtout vers la base, où ils reçoivent l’éternelle caresse humide de Benten, déesse de céans. Au-dessus de leur image éternellement renversée, qui les allonge de moitié, ils paraissent immenses, et trop sveltes pour être bien réels.

On peut, si l’on veut, contourner la baie ; mais le chemin des pèlerins la traverse sur un pont sacré, que soutiennent des pilotis et que recouvre dans toute sa longueur une toiture en planches de cèdre. De chaque côté de cette voie légère, en équilibre sur l’eau calme, les emblèmes et les peintures mythologiques se succèdent comme pour les stations d’une sorte de chemin de croix ; il y en a d’un archaïsme à donner le frisson ; on y voit surtout Benten, la pâle et mince déesse de la mer, entourée de ses longs cheveux comme des ruissellemens d’une eau marine.