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de bons élémens pour la tenue et la dignité de la vie. Par une malchance déplorable, les groupes sociaux qui se trouvaient désignés, par la solidité de leurs principes, pour être les piliers de la moralité publique, avaient encouru l’un après l’autre, pour des raisons diverses, le sérieux déplaisir de la royauté. Chez les catholiques, les disciples des Bérulle et des Vincent de Paul s’étaient compromis dans l’affaire de la Compagnie du Saint-Sacrement ; il n’y a pas de gouvernement digne de ce nom qui puisse accepter de se laisser mener par une société secrète, quelle qu’elle soit. Les Jansénistes avaient partagé avec les Réformés le mécontentement que toute velléité d’indépendance, dans n’importe quel domaine, inspirait à Louis XIV. Sa défiance s’étendait à la vie intérieure de chacun. Tout le monde devait sentir et penser comme le Roi, sous peine d’être tenu pour rebelle. C’était chez lui une idée arrêtée, et qui donna sous son règne un caractère particulier aux persécutions religieuses : jansénistes et protestans furent poursuivis à titre d’ennemis du Roi, bien plus que d’ennemis de Dieu.

L’hostilité témoignée par le prince à ces trois foyers principaux de la conscience française, et la destruction de deux d’entre eux, laissèrent le champ à peu près libre au dévergondage qui fut la marque de la fin du règne. On le reporte toujours à la Régence ; mais l’abcès était formé depuis longtemps quand la mort de Louis XIV lui permit de percer. Une lettre de 1680 le constatait déjà : « — Nos pères n’étaient pas plus chastes que nous ; mais… on brode à présent sur les vices, on les raffine[1]. » Le mal avait grandi impunément sous le manteau d’hypocrisie qui recouvrit la cour de France du temps de Mme de Maintenon. Elle le voyait bien ; elle en gémissait inutilement. Les étrangers en étaient frappés : « — Tout y est plus concerté, écrivait l’un d’eux en 1690, plus réservé, plus contraint,… que ne le porte le génie ordinaire de la nation[2]. » Le malheur fut que Louis XIV, qui avait été élevé et avait vieilli dans une religion toute de pratiques, s’en laissa imposer par des libertins, déguisés en dévots pour faire leur cour. Le Roi qui avait fait jouer Tartuffe ne l’avait pas assez médité.

Un dernier méfait, et non le moindre, du régime absolu, fut

  1. De la Rivière à Bussy-Rabutin.
  2. Relation de la cour de France, par Ézéchiel Spanheim, envoyé extraordinaire de Brandebourg.