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des talens nécessaires. Il étonna ses officiers par son incapacité et les fit rougir par une « rage de retourner en France[1] » qui ne fut pas trouvée d’un héros. Louis XIV consentit à le faire duc (1692) sur « l’instante prière »[2]des Majestés britanniques, mais son opinion était faite : il n’employa plus jamais Lauzun, qui n’en prit jamais son parti.

A force de rêver à ses peines, Mademoiselle comprit cette vérité banale, que le bonheur n’est pas fait pour les grands de la terre. Sans l’avoir consolée, cette découverte lui avait apporté un certain apaisement. Elle avait alors pour voisine de campagne en Normandie une jeune et charmante femme, appelée la comtesse de Bayard, qui fut au siècle suivant la marraine de Bernardin de Saint-Pierre et qui lui racontait des histoires[3]. Bernardin les a racontées à son tour, en les traduisant dans son langage sentimental, et il s’en trouve sur la Grande Mademoiselle. Mme de Bayard se plaisait à rappeler comment, dans leurs promenades solitaires, elle s’arrêtait à faire conter aux villageoises leurs amours et leur mariage ; comment ses yeux se remplissaient alors de larmes et comment, rentrée dans son château d’Eu, elle disait qu’elle aurait été plus heureuse dans une cabane. Aux pleurs succédaient des enfantillages ; l’exécrable vie de cour lui avait donné une vieillesse puérile, et elle se précipitait à la Cour pour ne pas manquer un carrousel, ou quelque spectacle du même genre[4].

Le 15 mars 1693, elle fut prise à Paris d’une maladie de vessie qui s’aggrava rapidement[5]. On s’étouffa au Luxembourg pour avoir des nouvelles ; la crainte de perdre la Grande Mademoiselle avait réveillé sa popularité. Monsieur et Madame, qui l’aimaient, vinrent la soigner. Lauzun lui fit demander de le recevoir ; elle refusa. Son état continuant à empirer et les médecins ne sachant que faire, on lui administra cinq prises d’émétique, le remède à la mode cet hiver-là, avec ce résultat qu’elle

  1. Lettre de M. d’Amfreville, officier général de la marine, à Seignelay, dans l’Histoire de Louvois de Camille Rousset.
  2. Saint-Simon, Écrits inédits.
  3. Œuvres complètes de Bernardin de Saint-Pierre (Paris, 1830). T. I : Essai sur la vie, etc., par Aimé-Martin.
  4. Lettre de Mme de Montespan à la duchesse de Noailles (1er juin 1685) ; Mme de Montespan, etc., par P. Clément.
  5. Cf. la Gazette pour 1693 et la collection du Mercure Galant, périodique mensuel, fondé en 1672, par Donneau de Visé.