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du comté d’Eu, sans parler du reste, et on l’eut, après une résistance désespérée et « les plaintes et les larmes les plus amères, » car l’on demandait ce qui avait déjà été donné à Lauzun, et Mademoiselle ne pouvait se résoudre à dépouiller son ami : « — Elle comprit… enfin que le Roi… ne cesserait de la persécuter jusqu’à ce qu’elle eût consenti, sans aucune espérance de rien rabattre[1] ; » et elle céda. La donation au Duc du Maine fut signée le 2 février 1681. Elle valut encore quelques bonnes journées à Mademoiselle. Le Roi l’assurait de sa reconnaissance : « — A souper, il me faisait des mines et causait avec moi ; cela avait fort bon air. »

Cependant Lauzun ne reparaissait pas. Un jour que Mme de Montespan disait à Mademoiselle que le Roi ne permettrait sûrement pas qu’il fût duc de Montpensier, et qu’il faudrait se rabattre sur un mariage secret, cette princesse s’écria : « — Quoi ! madame, il vivra avec moi comme mon mari, il ne le sera pas déclarément ? Que pourra-t-on dire et croire de moi ? » C’est sur ce passage des Mémoires de Mademoiselle que l’on peut s’appuyer pour placer son mariage en 1682, après la captivité de Lauzun. Nous ajouterons seulement qu’il existe contre cette date tardive tout un ensemble de preuves morales.

Quelque temps après cette conversation, au début d’avril 1681 et la Cour étant à Saint-Germain, Mme de Montespan annonça à Mademoiselle le prochain départ de Lauzun pour les eaux de Bourbon, puis elle l’entraîna, un peu contre son gré, jusqu’au bout de la terrasse, loin des yeux et des oreilles indiscrètes : « — Quand nous fûmes (au Val), qui est un jardin au bout du parc de Saint-Germain, elle me dit : « — Le Roi m’a dit de vous dire qu’il ne veut pas que vous songiez jamais à épouser M. de Lauzun. » Épouser officiellement, s’entend. Mademoiselle était jouée : — « Sur cela je me mis à pleurer et à dire beaucoup de choses sur ce que je n’avais fait les donations… qu’à cette condition. Mme de Montespan dit : — « Je ne vous ai jamais rien promis. » Elle avait son compte ; ainsi elle souffrit sans rien dire tout ce que je puis dire. » Le soir, il fallut avoir l’air ravie et remercier le Roi de la liberté de Lauzun ; un seul signe de mauvaise humeur, et Mademoiselle s’exposait à ne rien avoir du tout en échange de ses millions.

  1. Mémoires de Saint-Simon.