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Montespan et Pignerol : « — J’allais tous les jours chez (elle) et elle me paraissait attendrie pour M. de Lauzun… Elle me disait souvent : — « Mais songez à ce que vous pourriez faire d’agréable au Roi, pour vous accorder ce qui vous tient tant au cœur. » Elle jetait de temps en temps des propos de cette nature, qui me firent aviser qu’ils pensaient à mon bien. » Le mot d’un ami lui revint en mémoire : « — Mais si vous leur faisiez espérer de faire M. du Maine votre héritier ! » Elle se rappela d’autres mots, des détails qui ne l’avaient pas frappée d’abord, et comprit qu’on lui offrait un marché. Louis XIV et son ancienne maîtresse s’étaient entendus pour lui vendre la liberté de l’homme qu’elle aimait. Quel serait le prix, on ne le disait pas encore.

Mademoiselle avait mis un certain temps à comprendre. Son trouble fut alors si grand qu’elle ne se décidait pas à parler. Elle sentait que la partie, n’était pas égale, entre elle à qui la passion ôtait tout sang-froid, et Mme de Montespan qui conservait tout le sien ; et elle balançait, craignant quelque piège : « — Enfin je me résolus de faire M. du Maine mon héritier, pourvu que le Roi voulût faire venir M. de Lauzun et consentir que je l’épousasse. » Un tiers porta ces conditions à Mme de Montespan et fut reçu à bras ouverts. Louis XIV remercia sa cousine de très bonne grâce, sans toutefois faire allusion aux conditions de l’affaire ; il eut toujours le droit de dire qu’il n’avait rien promis. Mademoiselle aurait voulu qu’il lui dît tout au moins un mot de Lauzun. Mme de Montespan répondait à ses instances : « — il faut avoir patience, » et les choses en restaient là.

Au bout de quelques semaines, Mademoiselle s’aperçut tout à coup qu’elle n’était plus libre. Elle avait compté prendre son temps, avoir ses sûretés avant que d’aller plus loin. On la mit en demeure de s’exécuter, et on ne la laissa plus respirer : « — On ne se moque pas du Roi, déclarait Mme de Montespan ; quand on a promis, il faut tenir. — Mais, objectait Mademoiselle, je veux la liberté de M. de Lauzun, et si, après que j’aurai donné, on me trompe et que l’on ne le fasse pas sortir ? » On lui dépêchait alors Louvois, pour la terroriser, ou Colbert, pour la retourner par tous les bouts. Il ne s’agissait plus de testament. On exigeait une donation entre vifs[1]de la principauté de Dombes et

  1. Avec entrée en jouissance après la mort de Mademoiselle.