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dans les romans. Il avait entrepris de faire un trou au donjon de Pignerol avec de vieux clous, de vieux couteaux, des débris d’ustensiles, et il avait réussi, à force de gratter, à percer l’épaisse voûte située en dessous de sa chambre. Lauzun se coula par cette ouverture et se retrouva entre quatre murs, devant une fenêtre grillée. Il se remit à gratter, démolit l’un des angles de la fenêtre, descella l’un des barreaux, et vit qu’il était encore à plusieurs toises du sol. Des serviettes amassées par sa prévoyance lui permirent de fabriquer une échelle de corde, « la mieux faite du monde, » écrivait Mademoiselle avec admiration, d’après l’échantillon expédié à Louvois. Il descendit par son échelle dans le fossé du donjon, « reperça sous la muraille qui servait d’enceinte au fossé[1], » rencontra un rocher et recommença un peu plus loin. Sa nouvelle galerie aboutissait dans une cour de la citadelle. Lauzun sortit de terre un matin, au point du jour. Il y avait trois ans qu’il grattait ; c’était ce qui l’avait rendu si tranquille.

Une porte ouverte, et il était sauvé. Il l’aurait mérité pour son industrie et sa patience. Mais tout était fermé, et il fut arrêté par une sentinelle incorruptible. On le ramena dans son cachot, et Louvois lava la tête aux autorités de Pignerol, qui laissaient démolir murs et fenêtres, remplir une cour de tas de décombres, sans s’apercevoir de rien. Il ordonna des travaux, de nombreuses mesures de précautions, et Saint-Mars, très penaud, jura ses grands dieux qu’on ne l’y prendrait plus.

Saint-Mars en fut pour ses sermens. Plusieurs de ses prisonniers venaient précisément de découvrir le moyen de rendre visite à leurs voisins. D’après les récits de Saint-Simon[2], il semble que les larges cheminées de nos pères fussent devenues les voies de communication ordinaires du donjon de Pignerol. On faisait « un trou au tuyau, qui se refermait avec justesse pendant le jour, et l’on s’aidait mutuellement à grimper et à descendre. » Lauzun fut mis de la sorte en relations avec divers prisonniers, dont Fouquet, qui le crut fou en lui entendant conter son mariage manqué avec la Grande Mademoiselle. Ils devaient tous avoir l’air de ramoneurs. Saint-Mars ne sut

  1. Louvois à Saint-Mars, 2 mars 1676.
  2. Il en est de la lettre de Saint-Mars (du 23 mars 1680) sur les communications de cachot à cachot, comme de celle sur la fuite de Lauzun : elle ne s’est pas retrouvée.