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naissance de Lauzun lui avait valu des meubles neufs, mais pas un objet, de quelque nature qu’il fût, pouvant fournir une occupation quelconque. C’était là le supplice ; un désœuvrement absolu dans un lieu obscur, et jamais un écho de l’extérieur pour empêcher l’esprit de tourner indéfiniment sur lui-même. Lauzun n’obtint quelques livres qu’à la longue, et toujours difficilement, après qu’ils avaient été examinés page par page ; on redoutait les messages à l’encre invisible et les phrases qui renseignent sur les événemens du jour. Saint-Mars, quand on lui laissait le choix, s’en tenait aux livres de piété, le Tableau de la pénitence ou le Pédagogue chrétien. On savait ce qu’il y avait dedans, et puis « cela pourra lui servir, disait-il, dans le désespoir où il dit qu’il est. »

On se rappelle que Mademoiselle grondait son « petit homme » pour l’obliger à prendre soin de sa personne. En prison, Lauzun s’abandonna complètement : « (20 avril 1672.) Il se néglige tellement qu’il y a près de trois semaines qu’il porte un mouchoir cordelé autour de son cou en façon de cravate. » Du 30 juillet 1672, plus de sept mois après son arrivée : « Il n’a point encore fait balayer sa chambre, ni rincer son verre ; il est extrêmement négligé. » Lauzun avait laissé pousser sa barbe, ce qui contribuait à lui donner l’air « négligé ; » Saint-Mars prétendait qu’elle avait une demi-aune de long : « (11 février 1673.) Il se tient toujours malpropre à son ordinaire, tant sur lui que dans ses appartemens. »

Les années passaient. En 1673, on élagua les arbres qui ôtaient le jour. Ce fut le seul changement. En 1674, Lauzun faillit mourir. Sa santé se délabrait, et son caractère changeait. Il était devenu tranquille, — les accès de colère à part, — et très poli avec son geôlier, qui attribuait cette métamorphose aux livres de piété et à l’eau bénite dont il l’avait pourvu. Saint-Mars le trouvait « très souvent » à genoux, disant ses patenôtres devant une image de la Vierge, et il avait « bien de la joie » du nouveau train de choses.

Tout à coup, — en 1676, au mois de février, — Louvois reçut une lettre[1]qui fut en un clin d’œil la nouvelle de Paris. M. de Lauzun avait manqué se sauver, et non point par la porte, ni par la fenêtre, mais comme l’on ne se sauve d’ordinaire que

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